Opération anticlandestins

Sommés de quitter le pays avant le 15 septembre, officiellement pour raison économique, 100 000 sans-papiers africains ont pris le chemin de l’exode.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Au-delà des problèmes humanitaires qu’elle provoque, la décision d’expulser les étrangers en situation irrégulière, prise par le gouvernement djiboutien le 26 juillet, n’est pas sans soulever des difficultés pratiques. Fixée au 31 août, la date d’expiration de l’ultimatum lancé aux sans-papiers par Abdoulkader Doualeh Waïs, ministre de l’Intérieur, a dû être repoussée au 15 septembre. Voici quelques clés pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce drame.

Pourquoi les étrangers sont-ils devenus indésirables ?
En janvier 2003, le président Ismaïl Omar Guelleh est reçu en grande pompe à la Maison Blanche. Son pays est appelé à abriter le quartier général de la coalition internationale, sous commandement américain, chargée de lutter contre le terrorisme. Sa mission : surveiller les espaces terrestre, aérien et maritime de six pays de la Corne de l’Afrique : Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie et Soudan. Objectif : prévenir tout mouvement suspect lié à el-Qaïda.
En recevant Guelleh, George W. Bush explique le choix de Djibouti par sa situation géographique, mais aussi par sa stabilité politique et sa maîtrise des questions sécuritaires. Quelques mois plus tard, le département d’État émet un bulletin d’alerte concernant certains pays d’Afrique de l’Est, dont Djibouti, qui n’est plus aussi sûr que l’on pensait. Une simple statistique suffit à expliquer la décision du gouvernement d’Ahmed Dileita : 80 % de la population carcérale est d’origine étrangère. Le 26 juillet, la décision tombe : les illégaux ont trente-cinq jours pour quitter le territoire djiboutien.
Y a-t-il eu des pressions extérieures ?
« Aucune ! assurent les officiels djiboutiens, cette décision est motivée par des considérations de sécurité intérieure et ne nous a été dictée par aucun partenaire. » Ce démenti est intervenu après que des médias, notamment arabes, et des opposants en exil eurent fait état de pressions américaines pour que le gouvernement maîtrise mieux le flux et la circulation des personnes sur le territoire qui abrite les forces coalisées contre le terrorisme. Ces rumeurs ont été si insistantes qu’elles ont provoqué un communiqué de l’ambassade américaine à Djibouti. Signé par James Beamer, attaché culturel, le texte assure que les États-Unis n’ont joué aucun rôle dans la décision souveraine d’un pays ami. Il déplore toutefois les violations des droits de l’homme commises lors de certaines reconduites à la frontière.

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Qui sont les illégaux ?
Faute d’un recensement précis, on estime le nombre de personnes concernées par cette mesure à près de 100 000, pour une population djiboutienne de souche de moins de 250 000. Avec 60 000 ressortissants en situation irrégulière, l’Éthiopie arrive en tête des pays d’origine des clandestins. Elle est suivie par la Somalie, l’Érythrée et le Yémen. Selon le ministère de l’Intérieur, les ressortissants d’une vingtaine de pays africains sont concernés par la mesure. La majorité des illégaux proviennent des trois États limitrophes de Djibouti : l’Éthiopie, l’Érythrée, toutes deux minées par des conflits, et la Somalie, où il n’existe pas d’État. Le nombre de clandestins « économiques » n’est cependant pas négligeable. Pays relativement prospère, grâce notamment à la présence de bases militaires américaine et française, Djibouti constitue un véritable eldorado pour tous les déshérités de la région.

Comment s’opèrent les reconduites à la frontière ?
Jusqu’à la fin de l’ultimatum, le 15 septembre, les départs sont volontaires. Au-delà, les reconduites promettent d’être musclées. Mais les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent d’ores et déjà les abus lors des contrôles d’identité et les traitement inhumains subis par les clandestins. Autant de violations relevées par le communiqué de l’ambassade des États-Unis à Djibouti. Même la presse gouvernementale, à l’instar du bi-hebdomadaire La Nation, s’en est prise aux « brebis galeuses » des Forces nationales de police (FNP). Les autorités nient en bloc et répondent que les départs se font dans la sérénité. Voire. Comment expulser en trente-cinq jours 100 000 personnes avec des capacités de transport aussi réduites ?
Il y a trois moyens de quitter Djibouti : l’avion, la route et le train. Le premier, trop onéreux, est inaccessible à cette catégorie de personnes. La route reliant Djibouti aux postes frontières avec l’Éthiopie, l’Érythrée et la Somalie est dans un piteux état et ne permet l’évacuation que de deux cents personnes par jour. On est loin du compte. Reste le train. La voie ferrée qui relie Djibouti à Addis-Abeba est empruntée par deux types de trains : l’autorail, avec ses trois classes, et l’Assajog, une locomotive tractant huit wagons de troisième classe. Selon une enquête publiée par La Nation, le premier assure une navette trois fois par semaine, avec une capacité de 432 passagers par voyage, soit un total de 5 184 personnes. Le second, d’une capacité de 512 places, effectue deux dessertes par semaine. Bien sûr, les frais de transport sont à la charge de la personne expulsée. Seul pays à couvrir les frais de ses ressortissants refoulés : l’Érythrée. Asmara a affrété deux bateaux pour évacuer plus de mille Érythréens en deux dessertes.

Quelles conséquences sur l’économie ?
Il n’y a pas eu d’évaluation précise, mais les séquelles seront profondes. Les étrangers assuraient plus de 80 % des activités agropastorales et tenaient un commerce sur deux. Nul doute que les chiffres du chômage baisseront sensiblement. À condition que les Djiboutiens acceptent de remplacer les clandestins qui assuraient les tâches les plus ingrates. Ce qui est loin d’être acquis.

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