L’équipe de konaré

Élus en juillet dernier, les membres de la Commission de l’organisation continentale devraient prendre leurs fonctions d’ici à la fin du mois à Addis-Abeba. Revue de détail du premier « gouvernement » panafricain de l’Histoire.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Ils devaient normalement être dix, mais, parce que l’un d’entre eux manque à l’appel, ils ne sont, pour l’instant, que neuf(*). Parmi eux figurent un ancien chef d’État, plusieurs anciens ministres et une parlementaire. La doyenne d’âge, la Camerounaise Élisabeth Tankeu, a 59 ans. La benjamine, Bience Philomina Gawanas, originaire de la Namibie, 47.
Ils parlent tous au moins deux langues étrangères, notamment le français, l’anglais, l’allemand et même, pour l’un d’entre eux, le russe et, pour un autre, le polonais. Ils ont en commun d’être titulaires « au moins d’une licence ou d’un titre équivalent décerné par une université reconnue » et de passer, au-delà de leurs pays respectifs, pour des femmes et des hommes compétents, ayant « des qualités de dirigeants et une grande expérience dans la fonction publique, au Parlement, dans une organisation internationale ou tout autre secteur pertinent de la société ».
Ces cinq femmes et quatre hommes, originaires du Mali, du Rwanda, d’Algérie, de la Gambie, du Congo (Brazzaville), de la Namibie, de la Tunisie, du Cameroun et de la Tanzanie sont membres de la Commission de l’Union africaine (UA), qu’on peut qualifier, en forçant un peu le trait, de premier « gouvernement panafricain » de l’Histoire. Ils ont été élus en juillet dernier au sommet de Maputo pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Et ils doivent normalement prendre leurs fonctions à Addis-Abeba, siège de l’organisation, avant la fin du mois. L’investiture du président de la Commission, le Malien Alpha Oumar Konaré, 57 ans, (et de son vice-président, l’ancien ministre rwandais Patrick Mazimhaka, 55 ans) est, selon nos informations, fixée au 16 septembre.
Si Konaré et Mazimhaka sont bien connus, les « commissaires de base », eux, le sont moins. Pourtant leurs états de service sont tout aussi honorables. Les uns ont fait leurs preuves dans des cabinets ministériels ou dans les institutions politiques et judiciaires de leur pays. Les autres se sont manifestés « sur le terrain », notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, ou dans des organisations syndicales. D’autres encore, plus rares, viennent de l’enseignement, sortent d’un cabinet d’avocats, quand ils n’ont pas milité activement au sein de « la société civile. » Au cours des quatre prochaines années, ces femmes et ces hommes dirigeront, chacun pour ce qui le concerne, l’un des huit « ministères » clés suivants : Paix et Sécurité, qui échoit à l’Algérien Saïd Djinnit, 49 ans ; Affaires politiques, confié à la Gambienne Julia Dolly Joiner, seule commissaire à faire mystère de son âge (à peine la cinquantaine) ; Infrastructure et Énergie, attribué au Congolais Bernard Zoba, 54 ans ; Affaires sociales (la Namibienne Gawanas) ; Ressources humaines, Sciences et Technologies (la députée tunisienne Saïda Agrebi, 58 ans) ; Commerce et Industrie (l’ancienne ministre du Plan du Cameroun, Élisabeth Tankeu) ; Économie rurale et Agriculture (la Tanzanienne Rosebud Kurwijila, 48 ans) ; et, enfin, Affaires économiques, dont le titulaire n’a pas encore été désigné.
Si l’on écarte le cas singulier de Djinnit, les ressortissants des « pays qui comptent » sont exclus de ce premier gouvernement continental. Pas d’Égyptiens, de Sud-Africains, de Nigérians, de Libyens ou de Sénégalais autour de la table du Conseil des ministres, preuve que la taille, l’influence et la « surface » financière ont pesé de peu de poids dans le choix final des cinquante-trois États membres.
Parmi les heureux élus, il y a un seul diplomate de carrière, l’Algérien cité plus haut, unique rescapé de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA). Cet ancien élève de l’École nationale d’administration (Alger, 1973-1977) qui s’honore d’avoir visité (parfois à plusieurs reprises) quarante-cinq des cinquante-trois États membres, connaît parfaitement les arcanes de l’institution. Désormais commissaire « plein » en charge de la Paix et de la Sécurité, il aura sans doute plus de latitude pour mettre son expérience au service de la prévention, de la gestion, du règlement des conflits, et de la lutte contre le terrorisme.
Autre représentant de la gent masculine promu commissaire, Bernard Zoba, ingénieur des chemins de fer congolais formé à Moscou, dont le curriculum vitae fait cinq pages dactylographiées – pas moins ! Secrétaire général de l’Union africaine des chemins de fer, une institution spécialisée de l’UA chargée du développement ferroviaire, ce polyglotte (outre le français, il parle l’anglais et le russe) n’hésite pas, assure un proche, à mettre les mains dans le cambouis.
L’originalité du gouvernement panafricain présidé par Alpha Oumar Konaré tient cependant – on ne peut que s’en féliciter – à la présence à des postes stratégiques de cinq femmes. Première dans l’ordre protocolaire, la Gambienne Julia Dolly Joiner affiche une sérénité à toute épreuve au terme d’une longue carrière consacrée à l’enfance malheureuse et aux jeunes désoeuvrés. Cette ancienne étudiante des universités de Leeds (Angleterre) et de Dakar, spécialiste des problèmes de santé, a occupé plusieurs postes de responsabilité dans des ministères, notamment à l’Agriculture, la Santé, la Jeunesse et les Sports. Un moment conseiller du chef de l’État, Yahya Jammeh, elle hérite, sur un continent en pleine mutation, du département – sensible – des Affaires politiques. Autrement dit, des questions relatives aux droits de l’homme, à la démocratie, la bonne gouvernance, les élections, l’organisation de la société civile et les affaires humanitaires.
Elle retrouvera à ses côtés, à Addis-Abeba, une juriste namibienne formée en Grande-Bretagne et en Afrique du Sud, Bience Philomina Gawanas, avocate à la Cour suprême de son pays et, depuis 1996, médiateur de la République. Membre de la Swapo, la commissaire aux Affaires sociales – c’est son nouveau titre – a vécu douze ans en exil et n’est rentrée au pays qu’en 1989, au moment de la transition de la Namibie vers l’indépendance. De 1977 à 1981, elle a enseigné dans les centres d’exilés de la Swapo en Angola, en Zambie et dans les écoles de réfugiés namibiens à Cuba.
Parcours tout aussi remarquable pour Saïda Agrebi, membre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) en Tunisie, députée, et conseillère municipale de la commune d’Ariana, dans la banlieue tunisoise. Diplômée, entre autres, du College Park (Maryland) et de l’université de Berkeley, aux États-Unis, cette grande dame courtisée par les agences onusiennes a été éducatrice en santé publique dans les réserves indiennes de l’Arizona et du Nevada au milieu des années 1970. Elle a également enseigné à la Jamaïque et, nous a-t-elle confié au téléphone, dans toute l’Afrique. Particulièrement active dans le milieu associatif, trilingue (arabe, français et anglais), multicartes, Saïda Agrebi pourrait pourtant ne pas emménager à Addis-Abeba. En effet, de bonne source, on indique que les autorités tunisiennes ont officiellement averti l’UA, au mois d’août, que l’intéressée, élue quelques semaines plus tôt à Maputo, renonçait au poste. Pour, affirment les officiels, des « raisons familiales ». Tunis serait même prêt à proposer un autre nom, une procédure contraire aux règlements de l’organisation panafricaine. Interrogée par J.A./l’intelligent, Saïda Agrebi nuance au téléphone : « Des circonstances familiales graves pourraient, en effet, m’amener à laisser tomber, mais aucune décision n’est prise. Je n’ai pas encore dit mon dernier mot. » CQFD.
Économiste, ancienne ministre, notamment du Plan et du Développement régional, la Camerounaise Élisabeth Tankeu est également connue pour sa forte personnalité et son implication dans la bataille du développement. Polyglotte (elle parle le français, l’anglais et l’allemand), elle vole depuis trente ans d’un colloque à l’autre sur les « stratégies de réduction de la pauvreté », la « restructuration bancaire », les « privatisations » et, surtout – c’est son dada – « la planification ». La voilà désormais en charge du Commerce et de l’Industrie au sein de la Commission de l’UA. Son CV – aussi épais que celui de son collègue congolais – doit faire pâlir de jalousie la Tanzanienne Rosebud Kurwijila, « formatrice en agriculture » et « consultante », en charge, elle, de l’Économie rurale et, justement, de… l’Agriculture.

* À Maputo, en juillet 2003, l’Union africaine n’a pu élire son commissaire aux Affaires économiques, un département qui doit revenir à un pays d’Afrique australe. Ce sera sans doute chose faite en février 2004, indique-t-on à Addis-Abeba.

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