Le roi Hicham et les autres

Si le Marocain el-Guerrouj s’est illustré en remportant un quatrième titre d’affilée sur 1 500 mètres, les Mondiaux de Paris ont été marqués par l’émergence de nouveaux champions, mais aussi de nouvelles nations.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Les Mondiaux d’athlétisme de Paris se sont achevés en apothéose tricolore dimanche 31 août 2003, avec la médaille d’argent des relayeurs du 4×400 mètres, arrivés un souffle derrière le quatuor américain. La compétition, inaugurée dans une indifférence polie le 23 août, a tenu toutes ses promesses, et la belle moisson de médailles françaises (7, dont 2 en or) a remis du baume au coeur d’un pays traumatisé par la canicule. Pendant ces neuf jours, le grand public s’est régalé en assistant à un joli passage de témoin entre les générations et à l’émergence de nouveaux champions. Seuls 10 des 46 médaillés d’or d’Edmonton (Canada), en 2001, ont conservé leur titre. Jan Zelezny (République tchèque, javelot), Lars Riedl (Allemagne, disque), Jonathan Edwards (Grande-Bretagne, triple saut), Haïlé Gébresélassié, (Éthiopie, 10 000 mètres), qui survolaient leurs disciplines depuis des années, ont ainsi été battus.
Autre illustration de ce renouvellement : le sacre, sur 100 mètres, de l’improbable sprinter longiligne aux grandes chaussettes noires, Kim Collins. La victoire de ce sympathique trublion, ressortissant des îles Saint-Kitts-et-Nevis, 45 000 habitants – soit à peine plus de la moitié de la capacité d’accueil du Stade de France de Saint-Denis… -, résume bien l’ambiance générale de ces Mondiaux : des stars US en déclin, à l’instar d’un Maurice Greene usé ou d’un Tim Montgomery en méforme (5e), perturbé dans sa préparation estivale par une allergie aux cacahuètes (!), des épreuves spectaculaires parce qu’indécises, mais des performances très en retrait d’un point de vue chronométrique. Avec une victoire en 10′ 07 », Collins ne mérite pas vraiment le titre « d’homme le plus rapide du monde », car il a gagné la finale la plus lente des vingt dernières années. Mais qui s’en plaindra ?
Le sport est-il devenu plus propre, comme se plaisent à le répéter les Français, très fiers de leurs prouesses en matière de lutte antidopage ? Il est beaucoup trop tôt pour l’affirmer. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il est devenu plus humain. Jadis chasse gardée des Américains, des Européens, et, dans les courses de fond, des Africains, l’athlétisme s’ouvre aux nations émergentes. Première dans les annales, un Asiatique, le Japonais Shingo Suetsugu, médaillé de bronze sur 200 mètres, est monté sur le podium en sprint. Une Camerounaise, Françoise Mbango-Etone, a accroché l’argent en triple saut. Et un Italien, Giuseppe Gibilisco, a gagné à la perche.
Au classement général, les États-Unis continuent de dominer les débats, avec 20 médailles dont 10 d’or, devant la Russie (19, dont 6 d’or) et l’Éthiopie (6, dont 3 d’or et 2 d’argent). Quarante-deux pays ont inscrit leur nom au palmarès. Dont 8 Africains, un record. Les Éthiopiens, qui ont affirmé leur hégémonie continentale au détriment de leurs frères ennemis du Rift, les Kényans, ont trusté le podium du 10 000 mètres. Haïlé Gébresélassié, légende vivante de la course à pied, et Kenenisa Bekele, vainqueur à Paris et champion de demain, ont uni leurs forces pour faire triompher leurs couleurs. La victoire de Berhane Adere chez les dames, sur la même distance, et celle de Tirumesh Dibaba sur 5 000 font de ces Mondiaux un succès total pour l’ancienne Abyssinie.
Contrairement aux Kényans, émoussés par la répétition des efforts en meetings, les Éthiopiens arrivent « frais » dans les grandes compétitions, plus prestigieuses mais moins rémunératrices. Ils font preuve d’une vraie cohésion, et leur équipe nationale est épargnée par les rivalités personnelles. Le mode de qualification kényan, qui écarte les champions confirmés sans possibilité de repêchage à la moindre contre-performance en sélections, ne favorise pas toujours les intérêts du pays. Nourrissant les frustrations, il est en partie à l’origine de la fuite des talents dont la naturalisation de Stephen Cherono, vainqueur du 3 000 mètres steeple sous les couleurs du Qatar (et sous le nom de Saif Saeed Shaheen), n’est que le dernier exemple d’une longue série.
L’appât du gain constitue l’autre explication de l’exode des Kényans. Wilson Kipketer, le maître du 800 mètres, naturalisé danois à la fin des années 1990, a impulsé le mouvement. Au moins avait-il l’excuse de rechercher en Europe de meilleures conditions d’entraînement. Cherono, lui, a fait défection dans le Golfe contre une rente relativement modeste pour un champion de son calibre. La victoire de Catherine Ndereba en marathon et celle de l’inattendu Eliud Kipchoge sur 5 000 mètres ont cependant évité que ces Mondiaux parisiens n’apparaissent, du côté de Nairobi, comme un naufrage.
Au rayon des satisfactions, l’Afrique du Sud mérite une mention spéciale. Grâce aux sauteurs en hauteur Jacques Freitag et Hernie Cloete, la nation « arc-en-ciel » se positionne en puissance émergente sur l’échiquier de l’athlétisme. Le pays, qui a aussi glané l’argent à la perche avec Okker Brits et le bronze avec Mbuireni Mulaudzi sur 800 mètres, continue toutefois à être mieux représenté par ses champions afrikaners que par des athlètes venus des townships pauvres…
En gagnant l’or, la discrète Mozambicaine Maria Mutola, collectionneuse de médailles sur 800 mètres, a été au niveau qu’on attendait d’elle, tout comme la Sénégalaise Amy Mbacké Thiam, championne en titre du 400 mètres, et médaillée de bronze cette année, derrière l’intouchable mexicaine Ana Guevara. Mais la reine de ces Mondiaux, n’en déplaise à sa dauphine française Eunice Barber, aura été la gracieuse Carolina Klüft, couronnée sur l’heptathlon. La ravissante Suédoise a éclipsé toutes ses concurrentes. Ses 20 ans et son sourire désarmant lui promettent un bel avenir.
Côté hommes, il faut noter les superbes performances des athlètes du Maghreb, 4 médailles, dont 3 en or, qui ont triomphé presque à domicile : Hicham el-Guerrouj, marocain, roi du 1 500 mètres et de ces Mondiaux parisiens, son compatriote marathonien Jaouad Gharib, et Djabir Saïd-Guerni, l’Algérien, sur 800 mètres.
En remportant sa quatrième couronne d’affilée sur 1 500 mètres, et en s’attaquant, quatre jours plus tard, seul face à une armada d’Africains de l’Est, au 5 000 mètres, où il gagne finalement l’argent, l’héritier de Saïd Aouita a marqué ces mondiaux de son empreinte. Seul le Finlandais Paavo Nurmi, en 1924, avait fait mieux. El-Guerrouj, battu d’un souffle, de quatre centièmes de secondes, un écart qui sépare d’ordinaire des sprinters de 100 mètres, a échoué. Mais il a prouvé qu’il pouvait le faire : il a osé s’attaquer, sans préparation spécifique, à cet incroyable challenge. Il est des défaites qui grandissent.
C’était la première fois que l’enfant de Berkane s’alignait sur le 5 000 mètres en compétition senior, et il n’avait pour toute référence qu’un meeting couru cet été à Ostrava, en Slovaquie. La finale de la course, indécise et passionnante, a été le point d’orgue des neuf jours de compétition. Meurtri par son échec des jeux Olympiques de Sydney 2000, où il n’avait fait que deuxième, le champion marocain a réagi avec un orgueil incroyable et à d’ores et déjà pris rendez-vous pour Athènes, en 2004, où malgré son âge (il aura 30 ans), il espère bien réaliser l’impossible en doublant le 1 500 et le 5 000 mètres.
La victoire de Djabir Saïd-Guerni, sur 800 mètres, arrachée au terme d’une course remarquable de sens tactique et d’intelligence, a aussi une saveur toute particulière. Donné perdu pour le sport après des blessures à répétition, éprouvé par la maladie de son père et entraîneur, l’Algérien d’Aubervilliers, médaillé de bronze aux J.O. de Sydney, a songé à tout plaquer avant de se raviser, pour le plus grand bonheur des trente millions d’Algériens, frustrés de médailles d’or depuis la retraite du mythique Noureddine Morceli.
Les Tunisiens, forts de leur zéro pointé habituel, devront eux prendre leur mal en patience. Malgré des efforts financiers et organisationnels impressionnants ces dernières années, notamment depuis les jeux Méditerranéens de Tunis 2001, leurs sportifs continuent à décevoir dans les grandes compétitions internationales. Un constat qui peut être étendu à l’ensemble des pays arabes, qui, exception faite de l’Algérie et du Maroc, n’ont pas remporté le moindre accessit…

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