Le mystère « IB »

Accusé d’avoir voulu renverser – et assassiner – Laurent Gbagbo, son épouse et d’autres membres de son régime, le chef rebelle Ibrahim Coulibaly clame son innocence. Et, avec lui, nombre de ses compatriotes du nord du pays, qui dénoncent le « piège » et e

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Depuis un peu plus de trois semaines se déroule entre Paris et Abidjan une étonnante affaire à mi-chemin entre les Pieds nickelés et « Rambo sur la lagune », dont les conséquences, si nul n’y prend garde, pourraient être sérieuses. À l’origine : un homme, l’ex-sergent chef Ibrahim Coulibaly dit « IB », dont tout laisse à penser – enquête policière française, témoignage d’Ivoiriens qui l’ont fréquenté récemment, dépositions de présumés complices – qu’il avait quelque peu « pété les plombs » et se prenait pour le nouveau « sauveur » de la Côte d’Ivoire, une sorte de Robert Gueï bis. Au final : une trentaine d’arrestations à Paris et Abidjan, dont « IB » lui-même, et une évidente crispation de part et d’autre de la ligne de cessez-le-feu qui, un an après la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002, continue de couper la Côte d’Ivoire en deux.
Au coeur de l’histoire, puisque ce sont eux qui, fin août, l’ont révélée, les responsables français s’efforcent en aparté de démonter la théorie du « piège » dans lequel ils auraient sciemment attiré le chef rebelle afin de mieux l’appréhender – et de rendre ainsi un signalé service au président Gbagbo. Pourquoi donc le consulat général de France à Ouagadougou a-t-il si aisément (alors que celui de Belgique laissait traîner le dossier) accordé un visa Schengen au dénommé « IB » ? « Nous n’avions aucune raison de ne pas le lui délivrer suivant la procédure normale », explique un proche de l’enquête, oubliant sans doute qu’elle fut expéditive, « par contre, nous avions toutes les raisons, sachant le danger que ce monsieur représentait pour l’application des accords de Marcoussis et connaissant son activisme, de le placer sous surveillance une fois le pied posé sur le territoire français ». Ce qui fut fait, à l’évidence, si l’on en croit les multiples rapports d’écoutes téléphoniques et de filatures figurant dans le dossier du juge Jean-Louis Bruguière, qui instruit l’affaire à Paris. L’ex-sous-officier de l’armée ivoirienne, toujours soupçonné d’être l’un des « cerveaux » du 19 septembre 2002, a-t-il cru que l’obtention si rapide de son visa signifiait que la France le soutenait implicitement et que Paris voyait en lui « la » solution pour la Côte d’Ivoire ? C’est possible, et cela expliquerait les nombreuses imprudences d’un homme qui, depuis sa suite d’un grand hôtel de la capitale, recevait (et recrutait) sans se cacher.
Appréhendé le 23 août au matin, « IB » a aussitôt enfiévré les gros titres – et l’imagination – d’une bonne partie de la presse ivoirienne. Il est vrai que le commissaire du gouvernement, Ange Kessi, n’a pas hésité à décrire avec précision les contours d’un complot « digne du 11 septembre 2001 à New York » (sic). Selon lui, l’ancien homme de main de Robert Gueï s’apprêtait, avec sa poignée de mercenaires, à abattre trois hélicoptères, faire sauter deux ponts, pulvériser le cortège présidentiel à coups de lance-roquettes, assassiner Gbagbo, son épouse Simone, le président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly et le chef des jeunes « Patriotes » Charles Blé Goudé, puis à s’emparer lui-même du pouvoir à la tête d’un « Comité intérimaire national ». Le tout étayé par une « proclamation » à la fois kilométrique, surréaliste et totalement absconse lue à la télévision par le chef putschiste. Rien de tout cela n’est évidemment vérifié. Ce qui semble l’être, en revanche, c’est bien l’intention d’agir ainsi que certains documents, saisis sur « IB » et ses proches par la DST française, tendent à le démontrer.
Quelle que soit l’ampleur émotionnelle (et antifrançaise) des réactions suscitées dans le Grand Nord ivoirien par l’arrestation de l’enfant de Bouaké, rien ne prouve que le pire soit à venir. Ni le président Blaise Compaoré, qui l’a longtemps hébergé, ni Alassane Ouattara, ni Guillaume Soro, ni bien sûr le Premier ministre Seydou Diarra ne monteront au créneau pour défendre cet électron libre, solitaire, incontrôlable et qui avait fini par gêner tout le monde. Mettre hors d’état d’agir celui qui était devenu le « parrain » et le héros des petits seigneurs de la guerre qui rackettent le Nord, prélèvent leur dîme sur le sucre et le coton, et contrôlent la contrebande avec le Burkina et le Mali, n’est pas en outre pour déplaire aux notables locaux. Passé les premières heures d’outrances, l’affaire semble par ailleurs être gérée à Abidjan avec une certaine sérénité : Laurent Gbagbo n’a pas jeté d’huile sur le feu, Seydou Diarra s’est refusé à répondre aux provocations et la classe politique garde son calme. Last but not least : le « parrain » français refuse de céder à l’inquiétude. « Ces arrestations entrent indirectement dans le cadre des accords de Marcoussis, lesquels reconnaissent la légitimité de l’autorité en place et le maintien de Gbagbo au pouvoir jusqu’à la présidentielle d’octobre 2005 », assure-t-on à Paris, avant de marteler à l’intention de ceux qui soupçonneraient la France d’entretenir non pas une mais plusieurs politiques ivoiriennes (et autant de fers au feu) : « À Abidjan comme partout ailleurs en Afrique, nous ne choisissons pas un camp, encore moins un homme, nous choisissons une solution. » À l’évidence, « IB » faisait plutôt partie du problème.

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