Le jasmin et le béton

Victime d’une urbanisation anarchique, Hammamet est confronté à de graves problèmes environnementaux. Que la récente dissolution du conseil municipal ne suffira pas à régler.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Le conseil municipal d’Hammamet a été dissous le 4 août. Motifs officiellement invoqués : « négligence dans l’accomplissement de ses fonctions » et « défaillance dans la marche des affaires communales ». Mais encore ?
La décision a-t-elle été prise après que les pouvoirs publics eurent constaté que la « ville du jasmin » était devenue vraiment trop sale ? Réponse d’un membre du conseil limogé : « Sans être un modèle de propreté, Hammamet n’est pas plus sale qu’avant. Un léger mieux a même été enregistré depuis la privatisation de la collecte des déchets ménagers dans les zones nord et sud de la ville. »
De graves dissensions entre les membres du défunt conseil auraient-elles paralysé l’action municipale ? « Les discussions ont souvent été houleuses, reconnaît le même interlocuteur, mais la cohésion du groupe a toujours été préservée. »
Le refus du conseil d’autoriser certains grands projets immobiliers privés et sa ferme opposition à la cession des parts de la municipalité dans la société Yasmina, propriétaire de l’hôtel du même nom situé sur 2,25 ha en plein centre-ville, auraient-ils alors inspiré la décision de sa dissolution, comme le prétendent certains Hammamétois ? Difficile à prouver.
Élue en mai 2000, l’assemblée était composée de trente conseillers : vingt-quatre membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir, trois du Mouvement des démocrates socialistes (MDS, opposition) et trois indépendants de tendance écologiste. Elle avait déjà été dissoute en 1993. Pour (pratiquement) les mêmes raisons.
En attendant les prochaines élections, en mai 2005, les affaires communales seront gérées par une « délégation spéciale » constituée de treize membres, dont cinq rescapés du conseil sortant. Au cours de sa première réunion, qui s’est tenue le 18 août sous la présidence du délégué de la ville (sous-préfet), la « délégation » a examiné le nouveau plan d’aménagement urbain de la commune, ainsi que deux projets relatifs à la gestion des déchets et à l’embellissement de la route reliant Baraket-Essahel, à l’entrée sud de la ville, à la nouvelle zone touristique intégrée de Yasmine-Hammamet.
« On ne devient pas sans raison le symbole des vacances et l’image de marque de la Tunisie touristique, lit-on dans le Guide bleu de la Tunisie [1977]. Hammamet dispose de pas mal d’atouts. Que lui faudrait-il de plus, en effet, que le climat le plus doux […], que ses jardins évoquant les édens tropicaux, que ses hôtels nombreux et confortables cachés dans les noires frondaisons des cyprès, parmi les orangers, les daturas géants et les bougainvillées, au bord d’une immense plage de sable fin ? »
À l’époque où ces lignes furent écrites, il y a donc un quart de siècle, la station comptait tout au plus une vingtaine d’hôtels. On en recense aujourd’hui quatre fois plus, presque tous situés sur le front de mer. Avec plus de 40 000 lits, Hammamet fournit le cinquième de la capacité hôtelière du pays. Quant à sa population, elle connaît une croissance exponentielle : 7 000 habitants en 1956, 18 000 en 1970, 50 000 en 1994 et près de 60 000 aujourd’hui. À ces résidents permanents s’ajoutent les touristes de passage (1 million d’arrivées, 7 millions de nuitées chaque année) et les vacanciers locaux, dont beaucoup possèdent des résidences secondaires dans les environs (on estime à plus de 3 000 le nombre des maisons inoccupées, sur un parc total de 14 000 logements).
Pour répondre aux besoins d’hébergement des quelque 20 000 employés directs du secteur touristique, de nombreux quartiers ont poussé comme des champignons, au nord et au sud de la ville, empiétant sur les vergers d’agrumes et d’oliviers dont la beauté fut jadis chantée par Paul Klee, André Gide, Georges Bernanos ou Michel Tournier. Ulcéré par cette urbanisation débridée, un architecte originaire de la ville a un jour parlé de « prolifération cancérigène de constructions ne répondant à aucune norme architecturale ».
Dans une tribune publiée le 15 mars 1999, par Tunis-Hebdo, le Dr Salem Sahli, secrétaire général de l’Association d’éducation relative à l’environnement à Hammamet (AEREH) et membre du conseil municipal dissous, avait pourtant tiré la sonnette d’alarme : « Très vite, et de proche en proche, cette marée de constructions a fini par transformer la quasi-totalité du littoral en une énorme dalle de béton. Les concessions d’occupation du domaine public maritime sont généreusement délivrées par l’administration aux promoteurs. Si nous n’y prenons garde, il ne restera bientôt plus un pouce de rivage qui ne soit loti, bétonné ou doté d’équipements divers. »
Plus récemment, l’urbaniste Jelal Abdelkéfi, auteur d’une étude sur le plan d’aménagement urbain de la commune commandée par le conseil sortant, a lancé cet avertissement : « Si la tendance à la consommation de l’espace dans ses formes spontanées et anarchiques se poursuit à ce rythme, on ne parlera plus d’écosystème dans une dizaine d’années : les splendides paysages d’Hammamet auront disparu sous l’asphalte et le béton. »
Parmi les causes du phénomène, les urbanistes évoquent le décalage, pour ne pas dire le divorce, entre le Plan d’aménagement touristique (PAT) de 1975, entièrement axé sur l’exploitation de l’espace littoral, et le Plan d’aménagement urbain (PAU), élaboré deux ans plus tard et actualisé en 1994, qui n’a pas prévu le rythme d’expansion des infrastructures touristiques. Les conseils municipaux successifs ont fait de leur mieux pour faire face aux problèmes provoqués par un accroissement urbain insuffisamment maîtrisé, mais, dans la précipitation et sous la pression des promoteurs, ils n’ont pas toujours pris de bonnes décisions. Résultat : la ville est aujourd’hui aux prises avec des problèmes d’engorgement, d’embouteillage et de pollution qui menacent de l’étouffer et de nuire à son image édénique.
En limogeant un conseil municipal élu pour le remplacer par un autre nommé par elle, l’administration publique a peu de chances de régler le problème. C’est d’une révision globale de son plan d’aménagement que la ville a le plus besoin. Cette révision devrait prendre en compte les exigences de protection de l’environnement de la commune et de la préservation de sa vocation agricole.

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