Le cardinal, le «chairman» et le président

À plus d’un an de l’élection à la magistrature suprême, tout le monde bat déjà campagne, même l’Église catholique.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 6 minutes.

Les Camerounais ne perdent pas de temps. Avec plus d’un an d’avance sur le calendrier, la campagne pour l’élection présidentielle semble d’ores et déjà lancée. Parmi les intervenants les plus en verve, le cardinal de Douala, Mgr Christian Tumi, a, comme à son habitude, lancé une mise en garde pour le moins tonitruante. Dans un entretien publié le 1er septembre dans la presse locale, l’archevêque déclare sans ambages : « Je suis fondamentalement convaincu que la principale cause de la guerre au Cameroun viendra des élections, qui sont toujours mal organisées. » Un véritable pavé dans la mare du gouvernement, alors que le scrutin est prévu pour octobre 2004. Le prélat, qui s’est déjà illustré à maintes reprises pour ses sorties contre le régime, ajoute que les dernières législatives du 30 juin 2002 ont été « de façon évidente, et intentionnellement » mal organisées. Le scrutin s’était alors soldé par un raz-de-marée du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti au pouvoir remportant 149 des 180 sièges de l’Assemblée nationale, contre 31 pour l’ensemble de l’opposition.
Stigmatisant tour à tour la corruption du régime et les violences policières, Mgr Tumi ne s’est jamais montré avare de critiques à l’égard du pouvoir. Reste que ses propos trouvent aujourd’hui un écho auprès de certains. Alors que le pays se targue d’avoir su préserver une stabilité à faire pâlir de jalousie ses voisins d’Afrique centrale, le cardinal estime que le Cameroun n’est pas à l’abri des turbulences : « Tout peut ainsi arriver à tout moment. […] Les élections ont été à l’origine des guerres dans nombre de pays autour de nous, et rien n’exclut que la même chose nous arrive. Parce que, dans notre pays, nous nous comportons comme s’il n’y avait qu’une seule tribu alors qu’il y en a plus de 230 », conclut le prélat.
Le thème de la confiscation du pouvoir par une minorité n’est pas nouveau. Il revient avec la même virulence à la veille de chaque scrutin. Il n’en demeure pas moins que l’hégémonie du RDPC alimente aujourd’hui bien des ressentiments. C’est pour combattre son omnipotence que certains leaders viennent de décréter la mobilisation générale. Le 20 août, les deux principaux partis d’opposition, le Social Democratic Front (SDF) et l’Union démocratique camerounaise (UDC), ont annoncé leur intention de faire front commun pour la présidentielle. Selon les termes de la déclaration rendue publique par leurs états-majors, les présidents du SDF et de l’UDC, John Fru Ndi et Adamou Ndam Njoya, « s’engagent solennellement, individuellement et collectivement, devant le peuple camerounais et les amis du Cameroun, à présenter à l’élection présidentielle de 2004 un candidat unique de l’opposition », sur la base d’un programme commun. Les deux formations, qui comptent respectivement 21 et 5 députés sur 180, estiment que, depuis l’avènement du multipartisme en 1990, les élections ont été toutes « entachées des irrégularités des plus variées et de multiples fraudes ». Elles appellent enfin les autres partis d’opposition à soutenir leur démarche.
Cette initiative n’est pas une première, et il n’est pas encore évident que le ticket SDF/UDC résiste à l’épreuve de la campagne. Depuis l’avènement du multipartisme, les tentatives d’union se sont toujours soldées par de cuisants échecs. Quant à une candidature fédérant l’ensemble de l’opposition, elle est loin d’être acquise, certains ayant déjà annoncé leur souhait de descendre eux-mêmes dans l’arène. C’est notamment le cas de l’Union des forces du progrès, nouveau groupement de quatre partis qui a vu le jour le 13 juin dernier.
Toutefois, la tentative de rapprochement entre le SDF et l’UDC émane de personnalités trop en vue pour être traitée par le mépris. Universitaire sexagénaire et ancien ministre de Paul Biya, Adamou Ndam Njoya a été élu maire de Foumban (province de l’Ouest) en 1996. Son parti est solidement implanté dans le Noun, où les liens familiaux de son président avec le sultan des Bamouns constituent un atout non négligeable. Candidat à la présidentielle de 1992, Ndam Njoya ne fut crédité que de 3,6 % des voix. John Fru Ndi en récolta à l’époque dix fois plus : 36 %. Depuis cette percée, le chairman se maintient en tête d’affiche, mais son mouvement, le Social Democratic Front, a tendance à s’affaiblir. Première force d’opposition, le SDF traverse une crise identitaire, qui a conduit certains de ses cadres à remettre en cause l’autorité du chef. En août 2002, des dissidents du Front faisaient scission, accusant le parti de « se complaire dans un confinement régional, voire clanique, pour des raisons égoïstes et purement alimentaires ». Dans un paysage politique miné par les divisions, le clientélisme et les retournements de veste, l’annonce d’un programme commun suscite un légitime scepticisme. Pourtant, au SDF, on se dit prêt à jouer le jeu. « Notre président est prêt à s’effacer au profit d’un autre candidat de l’opposition, si les partis en décidaient ainsi », disent ses dirigeants à propos du premier d’entre eux.
Si l’offensive conjointe du SDF et de l’UDC concerne plus particulièrement les provinces occidentales du pays, une autre menace pèse sur la campagne du RDPC. Tel l’harmattan, un vent de mécontentement venu du septentrion souffle depuis un an sur la scène politique camerounaise. À l’origine de la bourrasque, on trouve l’Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (ANDP). Créé par une poignée de dignitaires originaires des provinces du Nord, de l’Extrême-Nord et de l’Adamaoua, ce mouvement du « Grand Nord » a pris le parti d’intervenir dans le débat politique en termes régionalistes. Au risque de réveiller des revendications ethniques ou religieuses toujours latentes. En septembre 2002, l’ANDP a publié le « mémorandum du Grand Nord ». Ce réquisitoire nordistes stigmatise l’échec des partis politiques traditionnels dans le développement de cette partie enclavée du pays, et dresse un bilan alarmant de l’état des régions septentrionales. Tout en rappelant le poids démographique des trois provinces (plus de 4,5 millions d’habitants sur 15 millions de Camerounais), le collectif regrette la sous-représentation des siens au sein des instances du pouvoir et les disparités dans la redistribution des richesses nationales. Et, au-delà des accusations, une véritable amertume se manifeste ouvertement à l’égard du régime, et cette insatisfaction déclarée alimente aujourd’hui un débat persistant.
Au RDPC, la contre-offensive s’organise. Accusé d’être financé – à hauteur de 300 millions de F CFA – par le Nigeria voisin, le mouvement du Grand Nord est taxé d’opportunisme par les proches du pouvoir. Lancée le 30 mai dernier à Garoua par le président de l’Assemblée nationale, Cavayé Yéguié Djibril, une série de meetings populaires est venue concrétiser le « vaste mouvement de mobilisation » observé en faveur du chef de l’État. Quelques jours plus tôt, c’était le ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, qui prenait la défense du gouvernement contre les « mémorandistes ». Alors que le bureau politique du RDPC dénonce le caractère tribaliste des revendications présentées dans le mémorandum, la presse, plus distanciée, juge cette affaire très « symptomatique » : « À chaque fois que se pose un problème, le « mal » est d’abord ignoré, voire méprisé, écrit Thierry Ngogang dans Mutations. Et lorsque l’on daigne enfin lui accorder de l’importance, c’est pour le réduire à sa plus simple expression en envoyant rapidement dans la région concernée des « frères du village », qui ont pour but de ramener les égarés à la raison ou d’essayer de les marginaliser en les ridiculisant. »
En quarante ans d’indépendance, la coexistence des ethnies camerounaises n’a jamais provoqué de heurts majeurs. Associés à l’exercice du pouvoir par les Bétis, l’ethnie de Paul Biya, dès l’arrivée à la présidence de celui-ci, en novembre 1982, les dignitaires nordistes ont toujours été des alliés objectifs d’Étoudi. Au palais, on ne semble pas prendre au sérieux le risque de crise entre le Nord musulman et le Sud chrétien. Reste que les leaders nordistes, comme les autres acteurs politiques, se montrent de plus en plus vigilants à l’égard du régime. Et les prises de position en cette veillée d’armes électorale laissent présager de la vigueur des débats.
Alors que l’opposition bat le rappel de ses troupes, la mobilisation a également commencé dans les rangs du RDPC. Après vingt années passées à la tête du pays, Paul Biya devrait, sauf surprise, se représenter et, malgré le nouveau front qui s’ouvre, aucun opposant ne semble de taille à lui faire échec.

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