Le Bon Samaritain du Faso

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Il faisait une chaleur d’enfer. J’avais quitté le village où j’habitais dans le nord-est du Burkina Faso, et j’avais 18 kilomètres à parcourir sur une piste pour arriver à la route goudronnée la plus proche.
C’était en avril. J’étais volontaire du Peace Corps, le Corps de la paix des États-Unis, dans ce pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest. J’étais partie sur mon VTT Trek 800 et je me voyais déjà dans la petite ville où j’allais m’offrir la pizza à laquelle je rêvais depuis un mois quand mon vélo heurta un gros cailloux. Lorsque je voulus repartir, je pédalais dans le vide, comme un écureuil dans sa cage. Je n’avançais pas d’un centimètre.
Qu’allais-je devenir ? J’avais encore 12 kilomètres à faire par 46 °C à l’ombre, avec seulement une demi-bouteille d’eau. Folle de rage, je me mis en route, à pied, mon VTT à la main.
Quelques minutes plus tard arriva un villageois d’un âge déjà avancé qui roulait dans la direction opposée. « Yaa boe tara fo weefo ? » me demanda-t-il en moré, la langue des Mossis. « Que se passe-t-il avec votre vélo ? »
Je lui racontai ce qui m’était arrivé, et il examina le Trek à 21 vitesses que m’avait offert le Peace Corps, probablement le premier qu’il ait vu de sa vie. Il me sourit et me dit qu’il ne pouvait pas le réparer, mais qu’on allait trouver un moyen de s’en sortir.
Là-dessus, il se mit à bricoler la courroie avec laquelle son sac était attaché sur son porte-bagages. Je ne voyais pas où il voulait en venir, mais je n’avais rien d’autre à faire, et je le regardai, en suant à grosses gouttes.
Quant il eut fini, il avait transformé sa courroie en un petit câble de dépannage d’environ un mètre de long. Il l’attacha au cadre de mon VTT et me fit signe de… me mettre en selle. Je crus qu’il plaisantait, mais, en même temps, quelque chose me disait qu’il était tout à fait sérieux. Ce vieux monsieur me proposait tout bonnement de me tirer pendant 12 kilomètres sous cette chaleur d’enfer ! Je hochai la tête pour lui indiquer que cela ne me paraissait pas possible. Mais il restait là, immobile, et j’acceptai ce dépannage inédit à la mode burkinabè.
C’était un vrai spectacle, ce vieux monsieur qui appuyait sur les pédales pour haler dans le désert brûlant la princesse américaine. Dans les villages que nous traversions, les gens écarquillaient les yeux en nous criant : « Ney yibeogo ! », « Bonne journée ! »
Je me sentais un peu comme une reine de carnaval sur son chariot, mais je ne pouvais que me laisser traîner. Quand le terrain devint accidenté, je restais évidemment derrière dans les montées, mais dans les descentes, je le rejoignais et même le dépassais légèrement, en lui lançant un grand « Bonjooouuur ! » Puis, je me retrouvais derrière lui.
Au bout d’une petite heure, nous arrivâmes à destination. Il était épuisé et j’avais la tête qui me tournait. J’étais à la fois embarrassée et admirative devant sa générosité. Je le regardai longuement, m’attardant sur ses yeux pleins de bonté. Je me disais que je ne l’oublierais jamais, parce que ce vieux monsieur était typique du Burkina Faso. Il n’était pas une exception dans ce pays, mais son âme même.
Quand je repense à ce moment où j’étais perdue sur cette piste déserte, il y avait une part de moi-même qui restait sereine, parce que je savais où j’étais. J’étais dans un endroit où l’on ne se sent jamais seul ou abandonné, parce qu’il y a toujours quelqu’un qui vient à votre secours ; où une femme décharnée donne son dernier bol de nourriture à un inconnu ; où les enfants s’amusent avec un vieux pneu et un bâton. J’étais dans un endroit où la famille compte plus que tout et où l’hôte est sacré.
Pour les Burkinabè, ces principes sont plus que de simples valeurs culturelles, ils sont un mode de vie. Burkina Faso signifie « le pays des Hommes intègres ». C’est un des pays les plus pauvres du monde, mais où j’ai appris ce qu’est la vraie bonté.

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