Jusqu’au bout de la nuit

L’Algérienne Malika Mokeddem explore le territoire de ses insomnies.

Publié le 11 septembre 2003 Lecture : 2 minutes.

La transe des insoumis, c’est l’autre nom de l’insomnie. Et elle ne dort pas beaucoup, Malika Mokeddem ! Ce récit autobiographique nous montre la genèse et le bon usage de ce qui est pour certains une vraie torture. La genèse, c’est du côté de la petite enfance qu’il faut la chercher : comment dormir quand on doit partager la couche fétide de la fratrie et des parents, dans la pièce unique d’une petite maison du désert algérien ? « Touffeur de la laine détrempée d’urine. État comateux. Comment vais-je pouvoir déboîter mes membres, ma poitrine, de ceux des autres ? » Quant au bon usage de l’insomnie, nous le connaissons tous : lire, lire et encore lire… Si tous les insomniaques ne deviennent pas écrivains, il ne tient qu’à eux de se faire grands lecteurs. Malika Mokeddem a pu devenir l’un et l’autre et pousser en plus ses études jusqu’à être aujourd’hui médecin spécialiste. Chapeau !
Mais ce livre aurait pu tout aussi bien s’appeler Le Livre des ruptures. Ruptures avec qui, avec quoi ? Chronologiquement, on commence à l’envers : l’auteur vient d’intimer à son mari l’ordre de quitter les lieux, après dix-sept ans de vie commune. Elle erre, désemparée, dans sa belle maison des hauteurs de Montpellier. Puis, dans une scène qui a tout d’un rituel de deuil, elle brise à coups de hache le lit ex-conjugal. Cela fait penser au Lit, ce livre d’Anne Bragance – à qui cet ouvrage est dédié. Mais si l’héroïne d’Anne Bragance s’acharnait à profaner le lit avec des étrangers rencontrés par hasard, Mokeddem fouille dans sa mémoire pour débusquer d’autres ruptures. Peut-être s’agit-il de se consoler en montrant que la condition humaine, c’est rompre, partir sans cesse. Ou bien voir partir les autres.
Dans une série de flash-backs, on verra se succéder les instants décisifs. Rupture avec la famille, qui lui prépare un avenir de femme au foyer et de poule pondeuse. Le grand-père l’a déjà accordée à un inconnu à qui il a déclaré : « Je vous la donne dans sa robe. » Rupture avec la mère, qui ne se rappelle à son bon souvenir que pour lui demander de l’argent et déplorer qu’entre sa fille et elle, « il y a toujours eu un livre ». Rupture avec le pays d’origine, l’Algérie, qui sombre dans la guerre civile et lui montre le visage haineux de l’intégrisme. On ne dira pas que Malika Mokeddem règle ici des comptes, ce serait trop facile. Elle fait l’inventaire des illusions perdues, des rébellions, des luttes livrées pour arracher un peu plus de liberté, de dignité et de respect. Mais à quel prix ?

La Transe des insoumis, Malika Mokeddem, Grasset, 312 pp., 17 euros.

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