E-commerce en Tunisie : comment manquer une révolution ?
Covid aidant, le commerce électronique a connu une nette progression en Tunisie, mais des législations obsolètes empêchent l’éclosion réelle de cette industrie.
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Alia Jenayah
Alia Jenayah (Bird & Bird) est une avocate franco-tunisienne et docteur en droit public de l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Publié le 17 octobre 2021 Lecture : 3 minutes.
Au lendemain de la crise sanitaire, l’usage du numérique et son adoption très forte au sein des populations offrent des perspectives croissantes aux investisseurs privés en Tunisie, en matière d’e-commerce. Les indicateurs de la plateforme de paiement électronique de la société Monétique-Tunisie (clictopay) ainsi que celle de la poste tunisienne (e-dinar) montrent qu’en 2020 cette croissance a touché aussi bien le nombre de sites marchands (+17% sur un an), que le volume des transactions (+ 67%) et leur valeur (+28% à 347 millions de dinars en 2020, environ 104 millions d’euros).
Selon l’Institut national de la consommation (INC) et la Chambre syndicale du commerce électronique et de la vente à distance (Sevad), sur un échantillon moyen d’environ 1000 personnes, 74% ont déjà effectué des transactions en ligne à travers les sites tunisiens, 31% à travers les réseaux sociaux et 44% à travers les sites étrangers. Plusieurs rapports alertent cependant quant au développement d’un marché parallèle à travers des sites de vente non déclarés ou des pages sur les réseaux sociaux.
Restrictions des paiements
Cette croissance intervient toutefois en dépit d’un cadre institutionnel et réglementaire daté et qu’il est urgent de moderniser pour donner l’élan nécessaire au e-commerce en Tunisie.
En vertu du Code des changes de 1976, encore en vigueur, et de ses textes d’application, toutes opérations ou prises d’engagement dont découle un transfert en devises étrangères sont soumises à une autorisation préalable de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Les restrictions sur les paiements internationaux dues à la réglementation des changes de la Tunisie et à la non-convertibilité du dinar empêchent donc les résidents tunisiens d’effectuer des transactions sur des sites de commerce électronique internationaux tels que eBay, Amazon ou AliExpress.
La majorité des sites en ligne ne proposent que le paiement en liquide à la livraison
Il faut noter cependant que certaines dérogations existent. Elles concernent depuis 1992 les résidents ou les non-résidents titulaires d’un compte en dinars convertibles et plus récemment les titulaires d’une « Carte technologie internationale », émise par le gouvernement tunisien et rendue disponible par des circulaires de la BCT prises en application du « Start-up Act » d’avril 2018.
La majorité des sites de vente en ligne ne proposent actuellement que le paiement en liquide à la livraison qui représente près de 70 % de la valeur totale des transactions, d’après les chiffres de l’INC et de la Sevad. Dans ce contexte, le développement des services tels que cliptopay et e-dinar doivent être encouragés. Mais la généralisation en Tunisie du paiement électronique passe par l’aboutissement des négociations entamée depuis 2016 par PayPal avec la BCT mais aussi par la diversification des moyens de paiement. Or, contrairement à certains pays voisins, ces négociations demeurent à l’état embryonnaire.
Blocages transfrontaliers
En Tunisie, l’exercice du commerce est régi par le vieux décret-loi d’août 1961 qui interdit l’exercice du commerce par les personnes de nationalité étrangère.
La loi d’août 2000 relative aux échanges et au commerce électronique et ses textes d’application ne reconnaissent pas le commerce transfrontalier. Ils imposent en effet que les entreprises souhaitant exercer ce type d’activité en Tunisie soient de nationalité tunisienne, ayant leur siège en Tunisie et n’exerçant aucune autre activité professionnelle. Elle prévoit en outre d’obtenir une autorisation préalable auprès de l’Agence nationale de certification électronique ((Tuntrust) pour exercer l’activité de fournisseur de service de certification électronique. Les sites de vente en ligne étrangers désireux d’exercer ce type d’activité en Tunisie doivent donc nécessairement passer par un relais local.
L’économie tunisienne ne doit pas rater cette révolution
L’inertie des pouvoirs publics en ce domaine est due, en partie, au déficit alarmant du commerce extérieur et à la baisse inquiétante des réserves en devises. Elle risque cependant de déboucher sur une importante perte de revenus pour l’État tunisien, un recul de compétitivité de l’économie nationale et du degré d’expertise, dans un pays qui – paradoxe ! – compte un nombre d’ingénieurs supérieur à la moyenne en Afrique. Il est donc indispensable que la Tunisie saisisse l’opportunité du virage juridique et numérique nécessaire à sa modernisation. L’économie tunisienne ne doit pas rater cette révolution.
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