Dans la maison Algérie

L’écrivain Salim Bachi, remarqué pour « Le Chien d’Ulysse », revient avec « La Kahéna ». Personnage central : une demeure bâtie par un colon.

Publié le 8 septembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Salim Bachi ne fait pas partie de ces auteurs médiatiques qui, à chaque rentrée littéraire, fréquentent assidûment les plateaux de la télévision dans l’espoir d’attirer le regard d’un juré Goncourt. Et pour cause : le Goncourt, Salim Bachi l’a déjà décroché pour son premier roman, Le Chien d’Ulysse, paru en 2001. Certes, c’était la bourse Goncourt du premier roman, mais on ne va pas pinailler, d’autant que dans la foulée il obtenait aussi le prix littéraire de la Vocation et la bourse Prince-Pierre de-Monaco de la découverte… À lire La Kahéna, son nouveau roman, on comprend l’engouement suscité par son écriture, aux antipodes de la mode actuelle des phrases syncopées dictées par un « je » tout-puissant. À l’égocentrisme ambiant, le jeune auteur algérien né à Annaba en 1971 oppose une écriture qui ne craint pas le classicisme – imparfaits du subjonctif inclus. Son goût pour les romans du XIXe siècle y est sans doute pour quelque chose… Salim Bachi raconte. Se laisse porter par « les circonvolutions de la narration ». Nous entraîne. Même quand un personnage nous semble odieux ou quand les strates temporelles de son intrigue s’entremêlent.
La Kahéna raconte l’histoire d’une maison bâtie par un colon de la première heure, Louis Bergagna, à Cyrtha, ville imaginaire où l’auteur situait déjà l’action de son premier roman et où « il se sent à l’aise ». On n’enlèvera rien au roman en révélant que cette bâtisse est une construction intellectuelle permettant de fondre deux époques de l’histoire algérienne (avant et après l’indépendance) et de confronter deux mondes, l’Occident et l’Afrique. « La Kahéna, étrange dénomination pour une maison de colon, quand on pense que cette reine berbère survivait dans les mémoires en raison de son acharnement à vaincre l’envahisseur, guerrière qui, dit-on, montait sur son cheval et conduisait elle-même ses hommes au combat […] », écrit Salim Bachi en adepte des paradoxes et des bizarreries qui expriment l’âme d’un pays. Le principal protagoniste du roman, Hamid Kaïm, remonte le fil de sa mémoire et se livre tout entier à une maîtresse dont on ne saura pas grand-chose. Peu à peu, les pièces du puzzle s’agencent, les personnages apparaissent, saisis dans leur complexité et prisonniers des rets de leur époque. Salim Bachi cite volontiers l’écrivain américain William Faulkner et son jeu avec les structures temporelles. Lui-même jongle avec dextérité, perdant le lecteur pour mieux le retrouver : « Et La Kahéna accomplissait sous ses yeux, qui ne voyaient plus, éblouis par la lumière se déversant dans la cour, la grande métamorphose qui n’avait pas eu lieu pendant la colonisation : les temps se superposaient comme les différentes strates d’un sol, puis, au fil des ères, se contaminaient, s’épousaient pour ne plus former qu’un seul corps, unique et multiple, sujet aux variations, mais en équilibre perpétuel. Il entendait l’eau martelant le mirage ; et les hommes de toutes les époques, vivants et morts, rejoignaient le même ensemble, malléable et infini, fruit d’un même songe, d’une histoire épousant les flux et les reflux, ressassant les invasions et les exodes. »
Louis Bergagna, revenu de « l’enfer » de la forêt amazonienne avec deux inquiétants évadés du bagne de Cayenne – le Cyclope et Charles Jeanvelle – , Hamid Kaïm, hanté par les fantômes de son père et de son éphémère maîtresse Samira, Ali Khan, ami et presque frère du narrateur, tous partagent une seule et même histoire, dont le centre de gravité est une maison qui oppose deux façades aux deux visages de Cyrtha : la vieille ville africaine et ses ruelles, la ville moderne et ses bâtiments fonctionnels. La symbiose que l’on imagine impossible naîtra pourtant de ces liens que les hommes tissent avec une persévérance de Pénélope, ceux de l’amour et de la trahison.
Si Salim Bachi, qui a étudié en Algérie avant de s’installer en France à l’âge de 25 ans, égratigne au passage les pouvoirs qui se suivent et se ressemblent, cela ne doit pas tromper le lecteur : la force de La Kahéna ne réside pas dans la condamnation de tel ou tel, mais dans l’exploration inlassable des méandres de la mémoire et de l’Histoire. Afin de rendre aux hommes la part qui leur revient.

La Kahéna, Salim Bachi, Gallimard, 314 pp., 19 euros.

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