Iran : qui est le successeur de Javad Zarif ?

Proche des Gardiens de la révolution et du Guide suprême, Hossein Amir Abdollahian succède à Mohammad Javad Zarif au poste de ministre des Affaires étrangères. Aligné sur les positions idéologiques du président conservateur Ebrahim Raïssi, il veut développer en priorité les relations avec l’Est. Quitte à reléguer les négociations sur le nucléaire au second plan.

Le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir Abdollahian sortant d’une entrevue avec son homologue russe Sergeï Lavrov, le 6 octobre 2021, à Moscou. © Kommersant/SIPA

Le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir Abdollahian sortant d’une entrevue avec son homologue russe Sergeï Lavrov, le 6 octobre 2021, à Moscou. © Kommersant/SIPA

Publié le 27 octobre 2021 Lecture : 8 minutes.

«­ La priorité du gouvernement du Dr Raïssi est de mettre au centre de sa politique l’Asie et les pays voisins. […] Nous n’assujettirons pas le ministère des Affaires étrangères à l’accord sur le nucléaire et je ferai tout mon possible pour rendre les sanctions inefficaces et faire lever l’embargo », déclare d’emblée Hossein Amir Abdollahian lors de la présentation de son programme devant le Parlement iranien, le 22 août dernier.

Nommé par Ebrahim Raïssi pour succéder à Mohammad Javad Zarif, en tant que ministre des Affaires étrangères de la République islamique, il obtient le vote de confiance d’une large majorité des députés conservateurs.

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Et pour cause : proche de la ligne dure du régime, le nouveau chef de la diplomatie iranienne affiche un parcours sans faute au sein des institutions iraniennes. Chef de mission adjoint à l’ambassade d’Iran à Bagdad de 1997 à 2001, il a également participé aux négociations entre Téhéran et Washington en Irak en 2007.

Hossein Amir Abdollahian était un très proche du général Qassem Soleimani

De 2011 à 2016, en tant que ministre adjoint des Affaires étrangères pour le monde arabe et l’Afrique, Hossein Amir Abdollahian était tout particulièrement responsable des zones de guerre en Irak, en Syrie et au Yémen.

Plus puissant que Zarif

« Lorsqu’il était vice-ministre, sous le gouvernement de Rohani, c’est lui qui gérait le dossier syrien. Il était, déjà à cette époque, plus puissant que Zarif lui-même », affirme Clément Therme, chargé de cours à Sciences Po et spécialiste de l’Iran. C’est également vers lui que Mohammad Javad Zarif a redirigé John Kerry pour les questions relatives au conflit au Yémen et à l’implication de l’Iran dans le soutien aux Houthis. Hossein Amir Abdollahian était en effet un très proche du général Qassem Soleimani, commandant de la force Al Qods, tué par les Américains en Irak en 2020.

En 2016, Mohammad Javad Zarif le destitue. Hossein Amir Abdollahian refuse alors le poste d’ambassadeur à Oman qui lui est proposé et devient conseiller auprès du Parlement iranien. Son limogeage sera vivement critiquée par l’aile conservatrice du régime. Selon certains médias iraniens, il serait la conséquence d’une incompatibilité avec la politique régionale de l’équipe du président modéré Hassan Rohani. Pour d’autres, Mohammad Javad Zarif aurait cédé à une demande des États du Golfe.

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« Sa nomination au poste de ministre des Affaires étrangères n’est que la confirmation de la position publiquement déclarée selon laquelle Téhéran poursuivra sa politique de rapprochement avec l’Est », explique Maysam Bizaer, analyste politique spécialiste de l’Iran. En effet, en juillet 2020 déjà, alors qu’il était directeur général des affaires internationales au Parlement, Hossein Amir Abdollahian s’était réjoui de l’accord de coopération commerciale avec la Chine. « Je dois dire que la collaboration entre Téhéran et Pékin est historique, surtout dans ce contexte de sanctions imposées par les États-unis et certains pays occidentaux », déclare-t-il au journal conservateur Tasnim.

Les Iraniens discutent avec les Européens « du processus même des négociations »

La République islamique, consciente qu’un hypothétique nouvel accord sur le nucléaire ne sera jamais suffisant pour inciter les investisseurs occidentaux à s’installer sur le marché iranien, préfère donc désormais se tourner vers l’Est et développer le commerce régional avec, d’un côté, l’Union économique eurasienne (UEE) et, de l’autre, l’Organisation de coopération de Shanghaï, à laquelle Téhéran a adhéré en septembre. Résultat : pour l’année 2019-2020, la Chine reste le premier partenaire commercial de l’Iran avec près de 25 % des échanges.

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Et, selon l’agence de presse chinoise Xinhua, les échanges commerciaux entre l’Iran et l’UEE ont augmenté de 14 % les sept premiers mois de 2020. Mais l’Iran cherche tout de même à faire lever au moins une partie des sanctions. « Sous Rohani, l’objectif était de lever les sanctions. Aujourd’hui, l’idée c’est de les neutraliser », nuance Clément Therme.

Depuis juin, Téhéran fait patienter ses interlocuteurs occidentaux sur la reprise des négociations. Pour le moment, les Iraniens discutent avec les Européens « du processus même des négociations », selon Clément Therme. Les résultats obtenus par l’ancienne administration iranienne lors du sixième et dernier cycle de négociations sont donc gelés par la nouvelle équipe au pouvoir, qui assure néanmoins que les pourparlers reprendront « bientôt ».

Cette stratégie permet aux autorités iraniennes d’affiner leur position en interne, mais, aussi, selon certains experts, de gagner du temps pour continuer à augmenter le stock d’uranium enrichi à 20 %. Le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, Mohammad Eslami, annonçait ainsi début octobre que l’Iran avait dépassé les 120 kg de production d’uranium enrichi à 20 %. De quoi faire davantage pression sur les Occidentaux.

Hossein Amir Abdollahian a également demandé aux États-Unis de débloquer les 10 milliards de dollars de fonds iraniens gelés, en signe de bonne volonté. « Le gouvernement d’Ebrahim Raïssi n’a jamais dit qu’il ne participera pas aux négociations. Cependant, pour les conservateurs, l’objectif est de faire le moins de concessions possible », explique Saheb Sadeghi, analyste politique spécialiste de l’Iran. « Ce qui importe c’est de développer le commerce avec des acteurs non-occidentaux », insiste de son côté Clément Therme.

La nomination d’Ali Bagheri Kani, particulièrement critique envers l’accord sur le nucléaire, au poste d’adjoint au ministre des Affaires étrangères chargé des négociations sur le nucléaire est une manière de faire passer un message de dureté et d’inflexibilité à l’Occident. Mais également à tous ceux, en Iran, qui sont opposés à l’accord sur le nucléaire.

Hossein Amir Abdollahian offre-t-il un gage de confiance à l’aile dure du régime ? « L’ensemble de sa carrière et ses points de vue, proches de ceux du Guide, font qu’on lui fait davantage confiance, estime Saheb Sadeghi. Il a donc plus de marge de manœuvre et son avis sera décisif, surtout si cela concerne la région dont il avait la charge et qui est son domaine d’expertise. »

Axe de la résistance

« Il est connu pour être un défenseur de l’axe de résistance et prône une politique étrangère orientée vers plus d’indépendance », explique encore Saheb Sadeghi. Lors d’une visite en Syrie, le nouveau chef de la diplomatie iranienne a réaffirmé le soutien de Téhéran au président Bachar al-Assad.

Au Liban, l’Iran fait valoir son rôle central auprès d’Emmanuel Macron, qui s’est personnellement engagé dans le dossier de la crise libanaise. « La France et l’Iran veulent tous les deux la formation d’un gouvernement fort au Liban. Une communication accrue entre les deux pays est donc indispensable pour créer la coordination nécessaire », explique Saheb Sadeghi. Sans le concours de l’Iran, parrain incontournable du Hezbollah, il y a fort à parier que la crise politique se prolonge.

Abdollahian veut apaiser les relations avec Rabat, qui accuse Téhéran d’entraîner des éléments du Polisario

« Ce qui a changé avec la nomination d’Amir Abdollahian, c’est que le régime a décidé de ne plus gouverner avec une façade, mais directement avec l’appareil de sécurité », explique Clément Therme. Ainsi la nouvelle équipe formée par le président Ebrahim Raïssi poursuit également les négociations avec l’Arabie saoudite, lancées sous le mandat de Hassan Rohani.

Selon Anwajmedia, un quatrième cycle de négociations aurait eu lieu à l’aéroport international de Bagdad, en Irak. « Compte tenu de la situation actuelle dans la région et de la politique intérieure de l’Iran, l’amélioration des liens avec les pays régionaux et voisins et la réduction des tensions seront une priorité », estime Maysam Bizaer. L’Arabie saoudite avait rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran en janvier 2016 au lendemain de l’attaque de son ambassade à Téhéran après l’exécution du cheikh chiite Nimr Baqr al-Nimr.

Pour Clément Therme, les discussions entre les deux puissances ennemies risquent de durer : « Il y a un double discours, les Iraniens surestiment les avancées avec les Saoudiens. » Alors que le président démocrate Joe Biden a cessé de soutenir la coalition militaire au Yémen,  l’objectif pour l’Arabie saoudite est principalement l’obtention d’une désescalade au Yémen, où les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, progressent dans la région du Marib.

« S’il n’y a pas de changement ou de concession dans la ligne iranienne, si Téhéran continue avec l’axe de résistance, les discussions vont se poursuivre pour éviter une guerre ouverte, mais il n’y aura aucune stabilité ni la mise en place d’un système régional de sécurité », affirme Clément Therme.

Ancien ambassadeur à Bahreïn de 2007 à 2010, Hossein Amir Abdollahian parle couramment arabe – et un anglais hésitant –, connaît les différents interlocuteurs et maîtrise les dossiers. « Il est conscient que du point de vue des États arabes du Golfe, il n’y a pas de possibilité de règlement des conflits sans concession iranienne », poursuit Clément Therme.

Pour les conservateurs, la priorité est donnée à tout ce qui est non-occidental

Or, pour Téhéran, la reprise des relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite constitue un enjeu de taille. Elle permettrait un effet d’entraînement et donc un rapprochement avec certains pays d’Afrique, notamment Djibouti, la Somalie et le Soudan, qui ont également rompu leur relations avec la République islamique. L’Iran essaie également de rétablir ses relations avec l’Égypte.

Mir Massoud Hosseinian, directeur général pour le monde arabe et l’Afrique auprès des Affaires étrangères, a affirmé que l’amélioration des relations avec l’Arabie saoudite facilitera la résolution des problèmes avec l’Égypte. Il a également réitéré la volonté de l’Iran d’avoir de bonnes relations avec le Maroc, qui accuse Téhéran d’entraîner des éléments du Polisario via le concours du Hezbollah. 

Pour Clément Therme, en Afrique, on assiste à un retour à la politique tiers-mondiste du temps d’Ahmadinejad. L’ancien président conservateur (2005-2013) avait en effet renforcé l’influence iranienne en Afrique et Amir Abdollahian était à cette époque ministre adjoint des Affaires étrangères pour le monde arabe et l’Afrique. « Pour les conservateurs, la priorité est donnée à tout ce qui est non-occidental, donc d’abord les pays musulmans, puis les puissances internationales non-occidentales comme la Russie et la Chine et enfin ce qu’on appelait avant les pays du Tiers Monde. L’Europe et l’Occident passent donc après. La hiérarchie des priorités a changé », conclut le spécialiste.

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