Tanger : l’avenir est dans le pré

Près du cap Spartel, une ferme pédagogique initie aux métiers agricoles des adolescents qui ont renoncé à se jeter à la mer pour gagner l’eldorado européen. À l’origine de cette initiative, l’association Darna, dont l’activité est loin de s’arrêter là.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 5 minutes.

En toile de fond, le ciel et la mer. Un bateau vogue sur les flots. Au premier plan se détache une île. À l’ombre de ses palmiers, une patera. Petite embarcation qui en dit long sur l’envie de partir des adolescents qui ont peint ce dessin sur un conteneur ! Non, nous ne sommes pas au port de Tanger où des gamins rôdent en attendant l’occasion de gagner ce qu’ils pensent être le paradis, 12,7 km plus loin. Nous sommes à Ziatin, à une dizaine de minutes de Tanger, sur la route du cap Spartel, dans la ferme pédagogique de l’association Darna. Cette exploitation de cinq hectares a été aménagée pour accueillir des adolescents des quatre coins des campagnes marocaines qui ont renoncé à se jeter à la mer pour rejoindre l’eldorado européen et ont fait le choix d’acquérir une formation aux métiers agricoles.
La ferme est encore en chantier, mais elle abrite déjà une vingtaine d’agriculteurs en herbe âgés de 15 à 18 ans. Chapeautés par quatre éducateurs, ils s’occupent des arbres fruitiers, cultivent des tomates et toutes sortes de plantes potagères. Ils élèvent poules, lapins, chevreaux, vaches et autres animaux de ferme. Ils apprennent également à récolter le miel et à fabriquer du fromage. Autant de produits qui sont ensuite vendus aux visiteurs qui peuvent s’attabler dans une petite cafétéria aménagée à l’ombre des oliviers. L’objectif de la ferme est d’initier ses pensionnaires aux différentes facettes de la production mais aussi à la gestion d’une exploitation agricole. Le but ultime étant qu’ils apprennent à voler de leurs propres ailes et cèdent leur place à d’autres.
Ce principe d’« autonomisation » est à la base de la philosophie de Darna, association tangéroise qui, outre cette ferme pédagogique, chapeaute de nombreuses autres structures. Créée en 1995 à l’initiative d’un groupe de citoyens marocains désireux de voir les enfants exclus se réapproprier « des espaces de vie, d’expression et d’apprentissage de leurs droits et de leurs devoirs », Darna et ses quarante-deux salariés ont parcouru bien du chemin en dix ans d’existence. Sensibilisée au phénomène des enfants des rues, l’ONG a commencé par un centre d’accueil de jour. Rapidement, les enfants ont réclamé davantage. Ils voulaient une formation professionnelle qui leur permette de s’insérer dans la vie active.
C’est ainsi que naîtra en 2000 la Maison communautaire des jeunes du détroit dans le quartier Merchane. Dans cette « maison bleue », près de 160 adolescents âgés de 13 à 16 ans suivent une formation de leur choix (menuiserie, ferronnerie, boulangerie…). « Avant je ne pensais qu’à aller travailler dans une usine en Espagne. Aujourd’hui, j’ai envie d’apprendre un métier et j’ai choisi la confection de vêtements », affirme Ahmed Zaoui, un jeune originaire de Khemisset.
Parallèlement aux ateliers, les jeunes participent à des activités culturelles (club-photo, art dramatique, ciné-club). L’expression artistique est privilégiée au sein de Darna qui, en octobre 1999, acquerra un théâtre abandonné dont elle prendra en charge la réhabilitation, tout comme elle a restauré la « maison bleue », un riyad qui tombait en ruine.
Depuis juillet 2001, Darna offre également le gîte aux jeunes en détresse. Aujourd’hui, ils sont une quarantaine à dormir au refuge, lieu attenant à la Maison communautaire, plutôt que de se pelotonner la nuit venue dans les recoins de la ville après avoir sniffé leur dose de colle.
Pour Mounira Bouzid el-Alami, présidente de Darna, la misère économique n’est pas seule en cause. « Les parents sont grandement responsables. Ils ne savent pas qu’ils ont des devoirs, notamment celui de scolariser leurs enfants, au lieu de se comporter comme des prédateurs vis-à-vis de leur progéniture. » Cette psychothérapeute, qui a adopté Tanger en même temps que les enfants de ses rues, cite le cas d’une mère qui a récupéré son enfant à la Maison communautaire des jeunes afin de pouvoir faire la manche en l’exhibant, ou encore celui de cette femme toute fière d’avoir réussi à faire passer clandestinement ses deux gamins, d’anciens pensionnaires de Darna, en Espagne.
Mounira Bouzid el-Alami s’insurge contre les lois des pays européens qui interdisent l’expulsion des mineurs étrangers. « Je sais que cette prise de position choque les droits-de-l’hommistes, mais les enfants doivent retourner auprès de leurs parents ! Un enfant privé de l’affection parentale, ça peut donner quelque chose de très dangereux », poursuit cette femme qui a renoncé à sa carrière pour s’occuper bénévolement et à plein temps de l’association qu’elle préside. D’ailleurs, à Darna, on s’efforce toujours de rétablir le lien entre l’enfant et ses parents, qu’ils vivent dans un faubourg miséreux de Tanger ou au fin fond d’une bourgade du royaume.
Monter une « école des parents » est l’un des nombreux projets de l’énergique présidente de Darna. En attendant de pouvoir la mettre sur pied, elle a aménagé en juin 2002, dans un ancien commissariat désaffecté surplombant la place du Grand Socco, au coeur de Tanger, la Maison communautaire des femmes. Dans cette réplique féminine de la maison des jeunes, près de 70 femmes suivent actuellement des cours d’alphabétisation. Les jeunes filles déscolarisées ont pour leur part la possibilité de s’inscrire dans des modules de secrétariat au terme desquels elles reçoivent un certificat de qualification. Elles peuvent aussi apprendre un métier au sein des divers ateliers (confection, tissage, couture, etc.) proposés.
« Près de 500 femmes ont déjà bénéficié de nos formations », assure Salima Benmousa, la directrice de cette structure. Les productions des ateliers (nappes, vêtements, etc.) sont exposées dans une boutique attenante et les stagiaires touchent un pourcentage sur les ventes.
Dernière innovation de Darna, le restaurant de la Maison des femmes : un agréable patio l’on déguste, moyennant 25 dirhams (moins de 2,50 euros), les plats et pâtisseries concoctés par les apprenties cuisinières sous la houlette de leur chef, Mbarka Essasi.
Parmi les autres projets de Darna, qui peut compter sur le soutien de partenaires tels que l’Agence de développement du Nord, la Casal dels Infants del Raval à Barcelone, mais aussi d’entreprises privées comme Jacob Delafon Maroc, Aluminium du Maroc ou Amendis, la création d’une cité universitaire destinées aux étudiantes démunies.
À quand des Mounira Bouzid el-Alami dans toutes les villes où des enfants aux yeux rougis d’avoir trop sniffé vendent des chewing-gums aux feux rouges ?

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