RDC-Belgique : cinq « enfants du péché » portent plainte pour crimes contre l’humanité
Arrachées à leur milieu familial et victimes d’abus pendant la période coloniale congolaise, cinq femmes métisses assignent l’État belge en justice.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 14 octobre 2021 Lecture : 2 minutes.
Envisagé comme le siècle d’une mémoire aussi courte que les stories de réseaux sociaux, le XXIe se révèle celui du ménage historique, entre la génération woke qui décape les consciences au white spirit et la tenue inespérée de procès comme celui de l’assassinat de l’ icône panafricaine Thomas Sankara, 34 ans après les faits. Dans ce décrassage des chroniques eurafricaines, l’appel à l’inventaire serait-il d’autant plus audible qu’il serait le fait de métis ?
Abandonnées et abusées
C’est ce 14 octobre 2021 qui a été retenu pour la plaidoirie, devant le tribunal de première instance de Bruxelles, d’une assignation de l’État belge datée du 24 juin 2020, sur initiative de cinq Belgo-congolaises : Léa Tavares Mujinga, Monique Bintu Bingi, Noëlle Verbeken, Simone Ngalula et Marie-José Loshi.
Vivant en Belgique, les septuagénaires souhaitent lui rappeler ses responsabilités coloniales dans le calvaire qu’elles subirent durant leur enfance. Dans les années 1950, elles furent arrachées à leur milieu familial et confiées comme des orphelines, avec 17 autres filles, à une congrégation religieuse néerlandophone peu avenantes de Katende, négligées par l’administration coloniale surnommée « papalétat », abandonnées par les sœurs évacuées lors de rébellions dans le Kasaï et parfois sexuellement abusées par des miliciens.
Chaînon invisibilisé entre les peuples congolais et belges, la plupart de celles qu’on appelait « mulâtres » – des milliers selon les plaignantes – étaient tout aussi mal acceptées par les communautés européennes qu’africaines, régulièrement appelées « enfants du péché », « mélangeuses de races » ou « germes de révolte »…
50 000 euros d’indemnisations
Les récits sont pesants et la plainte en justice n’est pas anodine. Faisant fi de la reconnaissance publique par le Premier ministre Charles Michel, en 2019, de la ségrégation ciblée dont avaient été victimes les métis issus de la colonisation, les cinq plaignantes souhaitent que les fautes commises par l’État belge soient aujourd’hui qualifiées de crimes contre l’humanité. Elles trouvent tout aussi insuffisant le conseil de la reine Fabiola, désignée marraine officielle des métis, qui leur avait suggéré de se tourner vers des centres publics d’aide sociale (CPAS) communaux.
Si la plainte devant le tribunal était jugée recevable, un expert pourrait être chargé d’évaluer le préjudice moral subi et les réparations requises, grâce à un accès facilité à des archives longtemps introuvables. Les avocats anticipent déjà que l’État belge devrait verser 50 000 euros à chacune de ces victimes, plus les frais. Alors qu’un rapport sur la colonisation devrait être publié cet automne, l’action judiciaire des cinq métisses relance le débat sur les réminiscences d’un racisme institutionnel qui imprègne encore la société belge.
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