Qui après Kérékou ?

Conformément à la Constitution, l’actuel chef de l’État ne se représentera pas à la présidentielle de 2006. À sept mois du scrutin, cinq personnalités politiques, au moins, peuvent prétendre à sa succession.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 6 minutes.

Le suspense entourant la candidature de Mathieu Kérékou à l’élection présidentielle de mars 2006 est enfin levé. Le chef de l’État a formellement écarté à la mi-juillet l’hypothèse d’une modification constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer un troisième quinquennat. Le « Caméléon », 72 ans, tombe sous le coup d’une double restriction constitutionnelle. En raison de l’article 42 de la Loi fondamentale d’abord, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs. À cause de l’article 44 ensuite, qui stipule que le candidat à la magistrature suprême doit être âgé de plus de 40 ans et de moins de 70 ans. Son adversaire de toujours, l’ancien président de la République (1991-1996) et actuel maire de Cotonou, Nicéphore Soglo, est lui aussi, a priori, hors jeu, puisqu’il vient de fêter son soixante et onzième anniversaire.
En choisissant de partir dignement, à la manière de ses homologues namibien Sam Nujoma et mozambicain Joaquim Chissano, Mathieu Kérékou assure un redressement de sa cote de popularité. L’ensemble de la classe politique et de la société civile a unanimement salué le « courage » de l’actuel président, qui s’apprête à tirer sa révérence après vingt-neuf années passées au pouvoir… Pour certains observateurs politiques, c’est aussi une manière habile de faire oublier les résultats mitigés de son dernier mandat. « Les gens sont déçus par la façon dont Mathieu Kérékou a géré le Bénin durant ces dernières années », explique l’un d’eux. La morosité économique, l’aggravation de la pauvreté, la multiplication des affaires de corruption et le blocage des réformes structurelles ont effectivement entaché son bilan alors que le pays était cité en exemple pour le continent.
Des critiques qui laissaient aussi présager l’échec d’une tentative de modification constitutionnelle. « Politiquement, on ne l’aurait certainement pas laissé faire, analyse un diplomate. Une telle manoeuvre aurait nécessité de rassembler l’adhésion de quatre cinquièmes des députés lors d’un vote à bulletins secrets. Or la composition de l’Assemblée nationale et l’ambition de certains hommes politiques – comme Bruno Amoussou, pour qui le scrutin de 2006 constitue la dernière chance de se faire élire, à 66 ans – ne lui auraient pas permis d’atteindre cet objectif. Sans compter qu’il avait répété maintes fois qu’il ne ferait rien personnellement pour remanier les textes en sa faveur. » Les Béninois ne s’attendaient pourtant pas à une telle sagesse et se demandaient quel sens donner à la construction d’un nouveau palais présidentiel lancée moins d’un an plus tôt. Pour beaucoup, c’était une façon d’habituer le peuple à une éventuelle prolongation de son mandat.
Si ni Mathieu Kérékou ni Nicéphore Soglo ne se représentent, qui pourra alors combler le vide laissé par ces deux personnalités qui polarisent la vie politique béninoise depuis 1972 ? L’actuel chef de l’État, dont on loue le charisme, n’a pas de successeur désigné. Quant à la mouvance présidentielle, qui comprend quelque quatre-vingts partis, elle est très disparate. Du côté de l’opposition, le problème est identique. D’aucuns avancent toutefois le nom du fils aîné de Nicéphore Soglo, Léhady, qui assiste son père dans la gestion de Cotonou. Mais l’homme est critiqué pour son manque d’expérience. Et, surtout, les électeurs reprochent au principal parti de l’opposition, la Renaissance du Bénin (RB), fondé et dirigé d’une main de fer par Rosine, l’épouse de Nicéphore, d’être régenté par la famille Soglo. « Il faut mettre un terme à cette tradition de monarchie républicaine en Afrique », s’agace un notable béninois. Des dissidents de la RB viennent d’ailleurs de créer un nouveau parti, l’Union des forces démocratiques (UFD), et entendent présenter leur propre candidat en 2006.
Parmi les habitués à la course présidentielle, seuls Adrien Houngbédji – ancien président de l’Assemblée nationale de 1991 à 1995, nommé Premier ministre en 1996 – et Bruno Amoussou – ministre d’État chargé du Plan jusqu’au dernier remaniement ministériel de février 2005 – font figure de favoris. On reconnaît volontiers au premier, 63 ans, d’être un animal politique se rapprochant de la victoire d’élection en élection. N’était-il pas arrivé troisième au premier tour du scrutin de 2001 ? Reste pourtant que ses succès politiques forgés sur de constants revirements d’alliances – tantôt en faveur de Mathieu Kérékou, tantôt en faveur de Nicéphore Soglo – donnent de lui l’image d’un homme ambitieux et calculateur.
Quant au leader du Parti social-démocrate (PSD), il est convaincu d’avoir de nouveau une chance d’arriver au second tour de l’élection présidentielle. En 2001, il s’était, en effet, hissé jusque-là grâce aux retraits successifs de Nicéphore Soglo et d’Adrien Houngbédji. Ce qui avait facilité la victoire de Mathieu Kérékou, réélu avec 84 % des voix à l’issue, a-t-on dit alors, d’un « match amical ». Mais Bruno Amoussou pourrait toutefois bénéficier l’an prochain d’un rapprochement avec Lazare Sèhouéto, qui lorgne, lui aussi, la présidence. Le leader du Mouvement pour l’alternative du peuple (MAP) devrait se montrer très combatif pour accéder à la tête du pays, d’autant qu’il vient de payer cher ses ambitions déclarées : lors du remaniement ministériel de février 2005, Mathieu Kérékou ne l’a pas conservé dans son équipe, alors qu’il lui avait successivement offert les ministères du Commerce et de l’Industrie (2001-2003) puis de l’Agriculture (2003-2005), en remerciement de son soutien en 2001. Bruno Amoussou et Lazare Sèhouéto auraient donc l’intention d’unir leurs forces au sein de l’Union du Bénin futur (UBF).
Mais la surprise pourrait aussi venir d’une femme : Marie-Élise Gbedo. Âgée de 50 ans, cette avocate a pour elle de nombreux atouts. On la dit travailleuse et rigoureuse. Surtout, bien qu’ayant elle aussi arpenté les ministères de Kérékou (notamment celui du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme) et participé à la course présidentielle de 2001, elle est la mieux à même d’incarner le changement et de séduire, par un discours résolument moderne, les 51 % de femmes qui composent la population du pays.
Autre personnalité dont on parle beaucoup et qui pourrait enfin prétendre à la magistrature suprême : le ministre d’État chargé de la Défense, Pierre Osho. Apprécié pour son franc-parler, l’homme est, en outre, un allié indéfectible de Mathieu Kérékou. « Si le président avait un dauphin désigné, ce serait lui, sans aucun doute », souligne un observateur politique.
Les critères de résidence, prévus dans la loi électorale, adoptée dans la nuit du 19 au 20 juillet, ont été retoqués par la cour constitutionnelle le 28 juillet. Ce qui remet en course deux Béninois d’envergure internationale qui ont la préférence des opérateurs économiques, des hauts fonctionnaires et des chancelleries occidentales. Abdoulaye Bio Tchané, directeur du département Afrique au Fonds monétaire international (FMI), et Boni Yayi, à la tête de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). « De toute manière, les jeux sont toujours ouverts et un homme providentiel, qui ne serait pas nécessairement issu du champ politique, peut encore faire son apparition, commente l’ancien ministre John Igué. Pour l’instant, aucun des candidats potentiels ne montre de convictions suffisamment fortes pour diriger le pays. Tous sont mus par des ambitions personnelles plutôt que par un véritable projet de société. » C’est aussi l’opinion d’un diplomate occidental, qui ajoute : « Les partis politiques ne sont pas porteurs d’un projet national. Ils regroupent des intérêts, le plus souvent régionaux, parfois ethniques. » D’où la nécessité d’une alliance entre différentes formations pour conquérir le fauteuil présidentiel. Reste à espérer que le consensus obtenu par une coalition soit pérenne. Car le plus grand succès des années Kérékou a justement été de maintenir l’unité nationale du Bénin, au-delà des clivages religieux ou ethniques. « Il faudra que le prochain président reste très vigilant », anticipent les Béninois, qui craignent que les scénarios ivoirien ou togolais ne se répètent chez eux.

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