Pourquoi les sunnites choisissent la mort

Publié le 5 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Bien sûr, il serait absurde de soutenir que tous les musulmans sont des kamikazes en puissance. Pourtant, il se trouve que les auteurs des derniers attentats-suicides étaient tous des musulmans sunnites. Il y a de par le monde beaucoup de gens en colère, mais apparemment seuls les jeunes sunnites radicaux estiment que le fait d’être en colère justifie de mettre fin à ses jours en massacrant des innocents, y compris d’autres musulmans.
Comment expliquer ce phénomène ? Prenons le cas de Mohamed Bouyeri, ce jeune Néerlandais d’origine marocaine qui, l’an dernier, a tiré quinze coups de feu sur le cinéaste Theo Van Gogh, pour le punir de ses critiques à l’égard de l’intolérance musulmane, avant de lui trancher la gorge avec un couteau de boucher. Le 12 juillet, il a déclaré au cours de son procès avoir agi « au nom de sa religion » et assumer pleinement la responsabilité de son acte. À l’évidence, plusieurs facteurs ont joué.
Le premier est que l’Europe n’est pas un melting-pot, qu’elle n’est jamais parvenue à intégrer de manière satisfaisante ses minorités musulmanes. Comme l’écrit The Financial Times, de nombreux musulmans ont le sentiment d’être « coupés de leur pays, de leur langue et de leur culture d’origine » sans pour autant se sentir assimilés. Ce qui fait d’eux des proies faciles pour les prédicateurs du djihad.
Le second est que l’islam sunnite a engagé contre la modernité un combat sans merci. Certes, il possède une longue tradition de tolérance, mais une tolérance fondée sur l’idée de sa propre suprématie, non sur une quelconque égalité entre les religions. Il s’est toujours pensé comme l’expression authentique et idéale du monothéisme. Le problème est que cette civilisation islamique supposée supérieure à toutes les autres se montre, depuis le XIIe siècle, incapable de se réformer et de réinterpréter l’islam. Résultat, elle est aujourd’hui moins puissante, moins développée sur le plan économique et moins avancée sur celui de la technologie que les mondes chrétien, juif et hindou.
« Certains jeunes musulmans sont séduits par la civilisation occidentale, qu’ils considèrent pourtant comme moralement inférieure. Et ils se sentent humiliés parce qu’en dépit de leur foi, dont on leur a enseigné qu’elle était la valeur suprême, d’autres civilisations semblent se porter beaucoup mieux, explique Raymond Stock, le biographe de Naguib Mahfouz. Quand ce conflit intérieur devient trop violent, certains, cédant aux instances des prosélytes du djihad, cherchent dans le douteux prestige du martyre le moyen de combattre l’occupation supposée injuste de terres musulmanes et la « décadence » de leur propre civilisation. » C’est moins de pauvreté matérielle qu’il s’agit ici que d’un déficit de dignité. Et de la rage qu’elle peut, le cas échéant, déclencher. L’un des kamikazes de Londres était marié et père d’un enfant. L’un de ses complices était sur le point de l’être. Je peux comprendre, même si je ne l’accepte pas, que le fait de commettre un attentat-suicide en Irak ou en Israël puisse être conçu comme partie intégrante d’un combat nationaliste. Mais quand un musulman de nationalité britannique et élevé au Royaume-Uni en vient à faire exploser ses voisins au hasard, en laissant derrière lui une femme et un bébé, je me dis qu’il est sous l’emprise d’un culte, ou d’un prédicateur dangereux pour sa communauté spirituelle comme pour le monde.

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