Mauvais coton

En dépit d’une récolte en forte augmentation, les paysans sont inquiets. L’organisation complexe de la filière et les interventions mal ciblées des pouvoirs publics sont en cause. Entre autres dysfonctionnements.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 5 minutes.

C’est d’abord avec satisfaction que le Bénin a annoncé une production cotonnière record pour la campagne 2004-2005. Avec 426 000 tonnes de coton-graines récoltées, contre 330 000 tonnes la saison dernière, les acteurs de la filière ont eu des raisons de se réjouir. Mais, rapidement, l’heure des comptes est venue… Comment l’État, qui subventionne cette année le coton à hauteur de 43 F CFA le kilo, va-t-il honorer ses engagements ? Après l’euphorie, les producteurs craignent de ne jamais voir le fruit sonnant et trébuchant de leur travail. Ils n’en seraient pas à leur première déception car, depuis la libéralisation de la filière, entamée au début des années 1990, les dysfonctionnements se multiplient et enrayent un système a priori cohérent.
C’est en 1992 que le monopole de la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra), qui gérait l’ensemble des activités du secteur – distribution des intrants aux paysans, achat de la récolte auprès des producteurs, transport, égrenage et exportations -, a commencé à être démantelé. Sous l’impulsion du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, l’État confie alors la distribution des engrais et des semences au Groupement professionnel des distributeurs d’intrants agricoles (GPDIA). De leur côté, les producteurs se structurent, en 1995, sur une base géographique, au sein de la Fédération des unions de producteurs (Fupro). Le processus s’achève en 1997, quand le gouvernement accorde des licences à des sociétés privées d’égrenage qui se regroupent dans le cadre de l’Association professionnelle des égreneurs du Bénin (Apeb).
En dépit de cette nouvelle organisation, les pouvoirs publics, soucieux de maintenir les acquis du système intégré précédent, continuent pourtant d’imposer des principes directeurs à ces trois groupements professionnels. Ils entendent ainsi assurer le financement des intrants et décident d’un tarif unique pour chacun d’eux d’une part, d’un prix plancher garanti pour l’achat du coton-graine, d’autre part. Mais, surtout, ils obligent les producteurs à vendre toute leur récolte aux égreneurs nationaux et ceux-ci à acheter la totalité de la production du Bénin.
La filière se complexifie encore lorsque ces groupements professionnels conviennent, avec l’aval du gouvernement, de créer d’autres structures chargées de gérer des opérations spécifiques. L’Association interprofessionnelle du Coton (AIC), par exemple, doit répartir le coton-graine, sur la base d’un système de quotas, auprès des usines d’égrenage. C’est elle aussi qui sert d’interface entre l’État et les familles professionnelles, d’un côté, et entre les différents acteurs de la filière, de l’autre. La Centrale de sécurisation des paiements et de recouvrement (CSPR), créée en 2000, joue, quant à elle, un rôle primordial dans le maintien des équilibres financiers. Les égreneurs lui versent un acompte de 40 % sur la base de la quantité totale de coton-graine qui leur a été attribuée par l’AIC. Grâce à cette avance, la CSPR rembourse les sommes prêtées par les banques aux planteurs pour les commandes d’intrants auprès de leurs fournisseurs en début de campagne. Elle paie également les premiers volumes de coton-graine récoltés par les groupements de producteurs.
Le problème est que ce système implique une discipline stricte, car il joue sur des équilibres fragiles, dépendants d’une organisation et non des lois du marché. Un tel contexte nécessite par ailleurs que l’État remplisse sa fonction d’arbitrage, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent. Certaines organisations dissidentes ont donc profité de la mollesse des autorités pour s’inscrire en marge du système. Cette désorganisation a été particulièrement marquée au cours de la campagne 2003-2004. Certains distributeurs non agréés ont alors écoulé des intrants de qualité douteuse. Des producteurs, pour leur part, ont vendu leurs graines à des égreneurs n’appartenant pas à l’Apeb et n’ayant donc pas réglé leur acompte à la CSPR. D’autres égreneurs ont acheté du coton-graine directement aux producteurs, sans respecter la répartition prévue par l’AIC, parfois avec l’assentiment des pouvoirs décentralisés… La saison dernière, plus de 60 000 tonnes de coton-graine ont ainsi été commercialisées en dehors des circuits de l’AIC et de la CSPR. Des fraudes qui mettent en péril la viabilité financière du système et qui le décrédibilisent. « Dans ces conditions, il est presque impossible d’atteindre un niveau de production supérieur à 350 000 tonnes, à moins de bénéficier, comme cette année, de conditions climatiques exceptionnelles », remarque un proche du dossier.
Même si ces déviances interviennent à tous les niveaux de la filière, les principales victimes en sont, en bout de chaîne, les producteurs. Tout en s’adaptant à la réorganisation du secteur, ils ont dû faire face à un effondrement des cours mondiaux de l’or blanc en raison des subventions accordées par les pays occidentaux à leurs propres producteurs. En 2004, ils ont également pâti de la fermeté des égreneurs béninois dans la fixation du prix du coton-graine. Après une première négociation qui fixe un prix prévisionnel en avril, les égreneurs et les producteurs ont l’habitude de se réunir une nouvelle fois en octobre pour décider d’un prix ferme. Au début de la dernière campagne, les cours de la fibre étaient au plus bas et les deux parties n’ont pas réussi à s’accorder. L’État a été contraint d’intervenir en obligeant les égreneurs à payer 157 F CFA le kilo et en promettant une subvention pour que les paysans rentrent dans leurs frais avec un kilo à 190 F CFA. Seul problème : l’AIC n’avait pas anticipé une telle augmentation de la production, d’où les risques d’impayés. Or, aujourd’hui principale source d’exportation qui contribue en termes de valeur ajoutée à 14 % du PIB, l’or blanc est un marché dont le Bénin ne peut pas se passer.
Alors, comment assainir la filière ? « Sans chef d’orchestre, il reste difficile de faire aboutir les réflexions émises par les différents acteurs, regrette un observateur. La gestion se fait à flux tendu, au jour le jour, et personne n’arrive à dégager suffisamment de temps pour élaborer un plan d’action. »
Sans compter le manque de volonté politique qui ralentit d’autant plus cette éventuelle réorganisation. En témoigne le dossier de la privatisation de la Sonapra, par exemple, qui n’est toujours pas finalisé. Sous la pression de la Banque mondiale, la question est revenue à l’ordre du jour au début de l’année 2004. Mais le manque de transparence, auquel s’ajoutent les enjeux politiques et personnels, ont de nouveau stoppé le processus début 2005. « Sans tête, cette filière se heurtera toujours à des limites. À moins qu’elle n’entre dans une logique de marché et que le politique cesse de prendre le dessus sur l’économie », conclut un expert.

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