Cheikh Fall : « Nos dirigeants doivent écouter ce que les Africains ont à leur dire »
L’ACTU VUE PAR… Chaque samedi « Jeune Afrique » invite une personnalité à décrypter un sujet d’actualité. L’activiste sénégalais Cheikh Fall, critiqué pour avoir accepté de donner la réplique à Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France, répond à ses détracteurs et interpelle les présidents africains.
Depuis une bonne semaine, son bonnet de laine se promène sur tous les réseaux sociaux d’Afrique et d’ailleurs. Invité, comme dix autres jeunes Africains, à apporter la contradiction à Emmanuel Macron lors du sommet Afrique-France, organisé le 8 octobre à Montpellier, le Sénégalais Cheikh Fall n’a pas mâché ses mots, exigeant des autorités françaises qu’elles « arrêtent de renforcer le pouvoir des dictateurs africains » et qu’elles « demandent pardon à l’Afrique ».
À 40 ans, le cyber-activiste n’en est pas à son premier coup d’éclat et ses années passées en tant que coordinateur au sein de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) semblent désormais très loin derrière. Depuis 2015, Cheikh Fall est le président des Africtivistes, une plateforme panafricaine qu’il a créé cette année-là et qui rassemble aujourd’hui plusieurs centaines de membres à travers une quarantaine de pays du continent.
Informaticien de formation et blogueur à l’origine, il se fait vite connaître sur la toile en créant, en 2010, le premier média participatif du Sénégal, ruepublique.net. Puis deux années plus tard, il lance la plateforme sunu2012.sn, destinée à surveiller alors le bon déroulement du scrutin présidentiel sénégalais. Son objectif, déjà : favoriser l’engagement des citoyens dans le débat démocratique africain.
Très critiqué sur les réseaux sociaux par celles et ceux qui lui reprochent de s’être laissé instrumentaliser par les services d’un « story telling » imposé par l’Élysée, Cheikh Fall répond à ses détracteurs, et en profite pour interpeller Paris, certes, mais aussi les chefs d’État africains, à qui il enjoint d’« écouter ce que les Africains ont à leur dire » et, dans le contexte du renforcement de la présence russe, chinoise et turque, de prendre garde à ne pas basculer d’un rapport de domination à un autre.
Jeune Afrique : Quels sentiments dominent aujourd’hui, plus d’une semaine après le sommet ?
Cheikh Fall : Le soulagement et la satisfaction. Nous étions venus avec beaucoup de questionnements par rapport au format de la rencontre et aux publics ciblés. Nous redoutions une prise de contrôle de la parole par Emmanuel Macron et, au final, nous avons pu nous exprimer librement, sans filtre ni censure. Une délégation de l’Élysée a bien tenté, la veille, de connaître la teneur de mon discours… Je l’ai chassée, car c’était pour moi contraire à l’esprit de notre rencontre avec le président français.
Nous n’étions pas venus en France pour faire de la politique française, seulement pour nous faire entendre
N’avez-vous pas craint d’être otage de l’agenda électoral d’Emmanuel Macron, notamment vis-à-vis de la diaspora, à quelques mois de la présidentielle française ?
Cela m’a en effet traversé l’esprit. Mais nous n’étions pas venus en France pour faire de la politique française, seulement pour nous faire entendre. Bien sûr, le risque d’être pris en otage existait, et pour que cela en vaille la peine, il fallait profiter de cette tribune très médiatisée pour porter un message radical. La France s’est engagée à nous écouter et elle l’a fait. Ma préoccupation porte maintenant sur la réaction des responsables politiques africains. Comment ont-ils reçu nos discours ? J’espère qu’à leur tour, ils sauront écouter ce que les Africains ont à leur dire. Tout l’enjeu consiste à garder la parole et à la faire entendre sur le continent.
Que pensez-vous de la polémique autour d’Achille Mbembe et des conclusions de son rapport ?
Il y a énormément de mauvaise foi de la part de personnes qui n’ont pas lu son document et qui ne connaissent pas vraiment les tenants du débat. Le but était de nous écouter, de réfléchir ensemble à un futur souhaitable pour cette relation entre la France et l’Afrique et d’accompagner ainsi le travail d’Achille Mbembe. Et c’est ce qu’il s’est passé à Montpellier.
Le Fonds pour la démocratie est une bonne idée, mais il ne doit pas être financé à 100 % par Paris
Craignez-vous une fracture générationnelle en Afrique ?
Oui, pas vis-à-vis des intellectuels, mais des responsables politiques. Il existe un véritable fossé entre les exigences de démocratie et de transparence exprimées par la jeunesse africaine et les réponses apportées par ses dirigeants. Il est urgent d’écouter ces jeunes qui ont démontré une maturité démocratique qui justifie aujourd’hui qu’on leur réponde.
Parleriez-vous d’un sommet de rupture ?
Son format est déjà une forme de rupture. Les actes qui découleront de ce dialogue, les engagements pris par les politiques confirmeront ou pas s’il y a véritablement rupture. Les annonces faites par la France lors du sommet sont encore bien éloignées de nos exigences. Elle doit changer de posture, se montrer moins condescendante, moins paternaliste. Le Fonds pour la démocratie, par exemple, est une bonne idée, mais il ne doit pas être financé à 100 % par Paris. Il y a suffisamment de mécènes en Afrique qui peuvent participer. C’est une question de respect mutuel, à l’image de ce que doit être la relation de l’Afrique avec la France.
Nous voyons les Chinois s’emparer des terres, les Russes interférer dans nos processus démocratiques. C’est intolérable
Quelles sont les conséquences sur cette relation de l’arrivée d’autres acteurs – chinois, russes, turcs ?
Cela oblige les responsables politiques des deux bords à en redéfinir les termes. La France perd beaucoup de terrain sur le continent. C’est un moment important pour l’Afrique car il ne s’agit pas de répéter les erreurs passées. La définition de nouvelles relations avec de nouveaux pays partenaires doit mettre en avant les intérêts du continent, en écoutant ses populations.
Pour l’instant, nous voyons les Chinois s’emparer des terres, les Russes interférer dans nos processus démocratiques, sans que les Africains aient leur mot à dire. C’est intolérable.
L’Afrique doit s’ouvrir pour se développer, mais dans le respect de ses valeurs, en faisant preuve d’un vrai courage politique et d’une vision de long terme, basée sur la transparence et la planification en matière de coopération.
Ne craigniez-vous pas un décalage entre les activistes africains « 2.0 », que vous symbolisez, et la jeunesse ?
Nous sommes la partie de la population qui accepte de parler, de s’engager, en dehors de son salon. Celle qui se confronte à l’exercice citoyen de la parole libre. Il n’existe aucun décalage, aucune friction. L’activiste est aujourd’hui le mieux indiqué pour porter la voix d’une population dont il partage les mêmes difficultés au quotidien.
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