La crevette en panne

Frappée d’ostracisme pendant dix-huit mois par l’Union européenne pour des raisons sanitaires, l’industrie crevettière connaît une crise très grave. Elle représentait jusque-là le deuxième poste d’exportation du pays.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Patrick Noyes est un homme en colère. Le PDG de Crustamer, l’une des trois entreprises béninoises spécialisées dans la transformation industrielle et dans l’exportation de crevettes, en veut à l’Union européenne (UE), qui a provoqué une fermeture de dix-huit mois des sociétés halieutiques du pays à compter de juillet 2003. Résultats : 90 % du personnel – essentiellement des femmes – licencié et une chute vertigineuse du chiffre d’affaires passé de 700 millions de F CFA en 2003 à 325 millions en 2004. « Le manque à gagner s’élève à quelque 5 milliards de F CFA car, pour reprendre nos activités, nous avons dû détruire tous nos stocks », ajoute-t-il. Sans compter les 45 000 pêcheurs artisanaux qui ont perdu leurs commanditaires du jour au lendemain.
Mais que s’est-il passé pour que la crevette grise, appréciée des Européens et des Asiatiques pour son aspect gluant (dû à un fort taux de collagène), soit tout d’un coup bannie des circuits commerciaux ? Alors que les entreprises exportaient sur la base d’accords bilatéraux, l’UE a voulu harmoniser les normes sanitaires en 2003. Elle reprochait notamment au Bénin, où la crevette était devenue le deuxième poste d’exportation, après le coton, avec près de 700 tonnes vendues à l’international, de ne pas avoir mis à jour ses textes législatifs. Ainsi, quand le ministère de l’Agriculture et de la Pêche donnait un agrément, il ne pouvait plus le suspendre. Une aberration pour les autorités de Bruxelles, qui, après les affaires de la vache folle et de la grippe aviaire, sont devenues extrêmement tatillonnes sur les réglementations liées à l’alimentation. Autre lacune dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest : la formation dispensée aux inspecteurs vétérinaires ne correspondait pas aux standards internationaux. Pour couronner le tout, le Bénin ne disposait pas des laboratoires accrédités exigés par l’UE. « Le Nigeria, le Sénégal, la Mauritanie et la Côte d’Ivoire n’ont pas non plus de laboratoires d’analyse des produits péchés, s’insurge le patron de Crustamer, et pourtant ils sont passés entre les mailles du filet européen. Le Bénin a été victime d’une injustice parce qu’il n’a pas les moyens ni le poids suffisants sur la scène internationale pour se défendre ! »
Les salles blanches et javellisées de préparation des crevettes ont toutefois rouvert leurs portes en février dernier. Mais l’industrie crevettière est aujourd’hui dans une situation très critique. Une des sociétés béninoises n’a pas survécu à l’intransigeance européenne, tandis qu’une autre a préféré se reconvertir dans la pêche continentale. « Nous avons tenu le coup grâce au système bancaire, qui nous a fait confiance », explique Patrick Noyes. Bon an mal an, l’entreprise a tenté d’exporter ses produits dans la sous-région et vers des pays tiers. Mais comment vendre aux Nigérians une crevette labellisée « Bénin » 15 % à 20 % plus cher que les autres crustacés africains ? Et comment justifier de son savoir-faire auprès des États-Unis, par exemple, quand on est en butte à la suspicion des autorités européennes ? Jusqu’à présent, le Bénin avait mis en avant la qualité de ses produits, n’ayant pas des capacités de production aussi importantes que le Sénégal ou la Mauritanie, puisqu’il ne dispose que de 526 km2 de lacs. Difficile, dans ces conditions, de retrouver des clients et de maintenir les prix de vente, en baisse de 20 %.
Avec 125 tonnes vendues à l’étranger en 2005, la crevette n’arrive plus qu’en troisième place aux palmarès des produits d’exportation, après le coton et la noix de cajou. Crustamer travaille exclusivement avec l’Espagne qui, ensuite, redistribue ses produits, notamment vers la Grande-Bretagne, où les communautés indiennes et chinoises consomment des crevettes entières. Le reste, c’est-à-dire les crustacés décortiqués à la main par des femmes et congelés à – 40 °C, atterrit dans les bacs de Rungis ou d’ailleurs.
Secouée par cette récente sanction, Crustamer envisage également de se lancer à la conquête d’autres marchés, tels que le Japon et les États-Unis. « Il ne faut plus que nous dépendions seulement de l’Europe, même si la législation tombe désormais sous la coupe de l’Organisation mondiale du commerce », concluent les professionnels. Pour ce faire, Patrick Noyes entend diversifier sa production. « Dans les dix ans à venir, nous essaierons de proposer des plats cuisinés surgelés », confie-t-il.

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