Impossible réforme agraire ?

Les Noirs perdent patience. Les Blancs n’entendent pas se laisser spolier. Depuis onze ans, le pouvoir cherche un juste milieu dans sa politique de redistribution des terres agricoles.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Seulement 4 % des terres confiées à des Noirs (79 % de la population) depuis 1994. Contre plus de 80 % toujours entre les mains de 62 000 Blancs. Le constat, dressé à l’occasion du Sommet national sur la terre, qui s’est tenu à Johannesburg du 27 au 30 juillet, est sans appel. Lancée depuis onze ans en Afrique du Sud, la réforme agraire n’a pas encore corrigé l’infâme Land Act qui remonte à 1913. Fort de cette loi, le gouvernement de l’époque avait décrété que les Noirs ne pouvaient disposer de plus de 13 % du sol sud-africain.
Parqués dans des bantoustans, les « peuples historiquement défavorisés » crient victoire le jour où Nelson Mandela accède à la magistrature suprême, le 27 avril 1994. Enfin, les injustices vont n’être que des mauvais souvenirs. Toutes ? Pas vraiment. Parmi les inégalités que l’État a tenté de corriger depuis, la répartition égale des terres arables – question sensible s’il en est – est de loin la plus difficile. Celle qui, peut-être autant que la corruption, le chômage ou la violence, pourrait faire trébucher le Congrès national africain (ANC, au pouvoir).
Lors du Sommet, syndicats d’employés agricoles, avocats des sans-terres, ONG et partis politiques ont souligné l’échec de la réforme agraire entreprise par le gouvernement du président Thabo Mbeki. À leurs yeux, le processus jusqu’ici mis en oeuvre est à revoir de fond en comble. Il faut le remplacer par un système qui puisse satisfaire plus rapidement la grande majorité des Sud-Africains trop longtemps privés de leurs terres, en incitant les fermiers blancs à vendre leurs propriétés.
Le principe du willing-seller, willing-buyer (vendeurs et acheteurs volontaires), qui représentait pour les autorités l’avantage de ne pas faire peur aux Blancs, a été dénoncé pendant les quatre jours de la rencontre. Le pouvoir s’est engagé à lancer une consultation de grande ampleur pour le remettre en question, ou, à tout le moins, nuance Glen Thomas, le directeur général du département des affaires territoriales, pour l’améliorer. Fondé sur la « main invisible » de l’économie de marché, ce principe avait déjà été appliqué ailleurs sans succès. Notamment en Namibie dans les années 1970 et au Zimbabwe dans les années 1980. Entre la méthode de Robert Mugabe, qui a fait long feu, et celle de l’ancien président namibien Sam Nujoma, trop empreinte d’arrière-pensées électoralistes, l’Afrique du Sud doit trouver un juste milieu.
La faillite de l’économie de l’ancienne Rhodésie du Sud, précipitée par le tour de vis donné par Mugabe à la réforme agraire en 2000, est présente dans tous les esprits. Ce pays considéré autrefois comme le grenier du continent est aujourd’hui réduit à importer un million de tonnes de céréales. L’Afrique du Sud, qui se retrouvera, elle, avec un surplus de quatre millions de tonnes à la prochaine récolte, nourrit de nos jours toute la région et ne veut pas croire que les Blancs seront demain expulsés manu militari pour être remplacés par des fermiers mal formés ou incompétents.
Les nombreux incidents entre fermiers et paysans noirs sans terres font pourtant souvent craindre le pire. Sans l’outrance de Mugabe, la vice-présidente sud-africaine, Phumzile Mlambo-Ngcuka, a prévenu : « Les marchés ne possèdent pas de mécanisme qui distribue la terre de manière avantageuse pour les pauvres. Nous devons nous assurer que les fermiers travaillent avec nous et ne tentent pas de nous exploiter, comme c’est le cas pour certains aujourd’hui. » L’État, seul acheteur (pour revendre aux Noirs), pourrait donc intervenir pour faire baisser les prix.
Pour les fermiers, rassemblés au sein de l’organisation AgriSA, l’intervention de l’État sur le marché risque d’envoyer « le mauvais message aux investisseurs et pourrait créer une nouvelle injustice, alors que celles du passé ne sont pas encore réglées », a averti son directeur, Hans Van der Merwe. Promesse est néanmoins faite par les autorités de transférer 30 % des terres agricoles aux Noirs d’ici à 2014. Un engagement timide, puisque l’autre volet de la réforme agraire – la restitution des terres confisquées aux familles depuis 1913 – a bien avancé. Sur 79 000 plaintes déposées, plus de 62 000 ont déjà abouti à une solution.
Reste donc à désamorcer ce que certains appellent la bombe à retardement de la réforme : faire accéder à l’emploi rural les populations qui ont retrouvé un logement. Et résoudre l’équation impossible : satisfaire les Noirs que l’accroissement des inégalités pourrait mettre dans la rue, sans pour autant faire fuir les Blancs, ni les investisseurs étrangers. Le tout en évitant de recourir à des mesures autoritaires comme au Zimbabwe.

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