Hillary s’en va-t-en guerre

L’ex-First Lady, qui ne fait pas mystère de ses ambitions présidentielles pour 2008, tente avec application de concurrencer les faucons de la Maison Blanche sur leur terrain de prédilection : la défense et la sécurité.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 5 minutes.

Même si Bill, son mari, jure qu’« elle n’a pas encore fait son choix » et qu’elle ne songe dans l’immédiat qu’à sa réélection au Sénat, l’an prochain, personne n’est dupe : Hillary Rodham Clinton a bel et bien l’intention d’être candidate à l’élection présidentielle de 2008. Et d’entrer dans l’Histoire en devenant la première femme à diriger l’exécutif américain. À trois ans de l’échéance, les sondages semblent lui donner raison : selon une enquête USA Today/CNN/Gallup du mois de mai, 53 % de ses compatriotes seraient disposés à lui accorder leur suffrage. C’est la première fois qu’elle obtient la majorité absolue des intentions de vote. Mais l’ex-First Lady est trop expérimentée pour se bercer d’illusions : la route est encore longue. Et semée d’embûches.
Son plus sérieux handicap est sans doute son image de liberal, sinon de femme de gauche, que même son soutien à l’invasion de l’Irak et, aujourd’hui, son opposition à l’adoption d’un calendrier de retrait des troupes ne parviennent que difficilement à altérer. Aux yeux de nombre d’Américains, elle reste cette executive woman sûre d’elle-même et dominatrice, trop intellectuelle, trop permissive en matière de moeurs, trop sociale et, paradoxalement, trop loin du peuple. Bref, bien que native de Chicago et ayant longtemps vécu dans l’Arkansas, trop « new-yorkaise ». Surtout, les relations notoirement difficiles que Bill Clinton entretint avec la hiérarchie militaire au cours de ses deux mandats présidentiels – on songe à sa décision très controversée d’admettre les homosexuels déclarés au sein des forces armées – ne plaident pas vraiment en faveur de son épouse en ces temps de guerre mondiale contre le terrorisme.
Car il va de soi que les attentats du 11 septembre 2001 ont bouleversé la donne. Comme tous les Américains, Hillary en a été profondément et durablement traumatisée. Il serait donc injuste de ne voir dans l’obsession sécuritaire qu’elle affiche depuis quatre ans qu’une manifestation de pur opportunisme. Pourtant, les arrière-pensées politiciennes n’en sont à l’évidence pas absentes. Prenant acte de l’onde de choc ultranationaliste et puritaine provoquée chez ses compatriotes par la tragédie de New York et de Washington, elle a, très vite, entrepris de recentrer sa stratégie. Et de travailler patiemment à infléchir son image dans l’opinion. La cuisante défaite du démocrate John Kerry face à George W. Bush, l’an dernier, n’a pu que la conforter dans ses choix.
Il y a d’abord eu la publication d’un livre, Living History (Mon histoire), évocation largement édulcorée de ses déboires conjugaux – ô Monica Lewinsky ! – dont l’ambition se bornait à susciter un réflexe de solidarité primaire chez les ménagères américaines : par crainte d’aller à contre-courant, elle évitait soigneusement de dénoncer le complot – pourtant bien réel – ourdi par l’ultradroite religieuse contre son mari.
Puis une série de prises de position franchement inattendues venant d’une ex-pasionaria des campus. Du genre, « la religion et la prière ont toujours joué un rôle central dans ma vie », ou bien « l’avortement, c’est souvent un choix très triste et même tragique pour de très, très nombreuses femmes »… La gauche du Parti démocrate ne décolère pas. Quelques activistes ont même créé un comité sobrement baptisé Stop her, now ! Mais Hillary a fait ses comptes. Dans le cadre de sa stratégie présidentielle à long terme, les avantages de ce virage lui paraissent l’emporter de beaucoup sur les inconvénients.
Mais c’est, on l’a vu, sur les questions de défense et de sécurité que son revirement est le plus spectaculaire. Avec l’outrance des convertis de fraîche date, elle n’hésite pas à dénoncer la « mollesse » de l’administration républicaine face à l’insurrection irakienne ou à la menace nord-coréenne. Ce dernier pays, s’insurge-t-elle, « a désormais les moyens de mettre au point des missiles nucléaires capables d’atteindre les États-Unis, ce qui n’était pas le cas avant l’élection de Bush ». Cela reste à démontrer, mais qu’importe… Membre de la commission spécialisée du Sénat, elle a déposé une proposition de loi visant à augmenter de quatre-vingt mille hommes en six ans les effectifs de l’armée. Et elle multiplie les interventions visant à améliorer l’ordinaire des soldats en Irak, mais aussi les conditions de vie (santé, logement, éducation, etc.) de leurs familles. Le fait que le corps expéditionnaire américain compte de très nombreux New-Yorkais n’est évidemment pas étranger à cette sollicitude, mais il n’explique pas tout.
Au Sénat, au mois de janvier, Hillary Clinton a approuvé la nomination de Condoleezza Rice au département d’État, alors que douze de ses collègues démocrates votaient contre. Échange de bons procédés, le Pentagone l’a désignée pour siéger au sein d’une commission chargée d’améliorer la coopération entre les différents services de l’armée. Selon une étude du National Journal, qui à recensé et analysé l’ensemble de ses votes sur les projets de loi relatifs à la défense et à la sécurité, elle n’apparaît plus qu’au trente-quatrième rang des sénateurs les plus libéraux, après avoir longtemps figuré dans le peloton de tête…
Les résultats de cette opération de communication politique sont loin d’être négligeables. La moitié des Américains la considèrent aujourd’hui comme « un leader fort et résolu », 44 % la jugent capable de faire face à une crise internationale, et 42 % estiment qu’une fois élue, elle userait avec discernement de la force militaire. Ils ne sont certes que 36 % à la croire capable de sortir l’Amérique du guêpier irakien, mais il n’est pas sûr que quiconque soit en mesure de faire beaucoup mieux.
Reste à espérer pour elle qu’elle ne se trompe pas de campagne électorale. Bush a été triomphalement réélu, l’an dernier, en « ciblant » non le centre indécis de l’électorat, comme il est de tradition, mais sa fraction la plus droitière. Et en faisant le pari que les questions relatives à la sécurité nationale prendraient le pas sur les considérations de politique intérieure. Mais un démocrate a-t-il forcément intérêt à copier cette stratégie ? Et comment être assuré que la situation n’aura pas radicalement changé en 2008 ? Trois ans, en effet, c’est très long. Surtout en politique.

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