Fouad Ali El-Himma parle

Publié le 5 août 2005 Lecture : 4 minutes.

Deux semaines après, on en parle encore. L’interview qu’a accordée le 29 juillet Fouad Ali El-Himma au quotidien Al-Ahdath Al-Maghribiya est assurément un événement. Condisciple du roi Mohammed VI au collège royal, ministre délégué à l’Intérieur, il passe pour être son plus proche collaborateur. Du coup, on en a fait un Driss Basri (omnipotent ministre de l’Intérieur de feu Hassan II), comparaison commode mais fausse, car ni les hommes ni le contexte politique ne se ressemblent. On le disait en disgrâce, souffrant d’un cancer… et voilà qu’il parle.

Comme il s’agit d’une première, des remarques de forme s’imposent. D’abord, Fouad Ali El-Himma s’en tire très bien. Avec mention. Il est à l’aise, égal à lui-même, ses propos ne se réfugient pas dans la langue de bois, il s’exprime sans affectation ni fioritures, avec clarté et conviction. Que dit-il ? D’abord, il rend à César ce qui appartient à… Hassan II. C’est à lui qu’on doit « l’assainissement du climat entre les partis et la monarchie », permettant « l’émergence de l’expérience démocratique ». Néanmoins, d’un règne à l’autre, on a effectué « un saut qualitatif ». El-Himma évoque son itinéraire personnel pour noter qu’il n’a pas été parachuté à l’Intérieur : « Il s’agit en fait d’un retour, puisque j’y ai exercé de 1986 à 1995 » – sans préciser que c’était auprès d’un certain Driss Basri… Il rappelle aussi qu’il s’est frotté au suffrage universel et qu’il a même été, en 1992, président du conseil municipal à Benguerir.

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À en croire les journaux, El-Himma est, aujourd’hui, au centre de la vie politique. On lui prête beaucoup. On l’accuse de tout et de rien. C’est d’ailleurs cet acharnement qui le fait sortir de sa réserve. « Le silence ne sert en fin de compte que les intérêts d’une infime minorité. Il est temps que chacun sache que nous sommes un État organisé, où il n’y a nulle place pour des mains invisibles, encore moins pour l’homme numéro un, numéro deux ou numéro dix ! »
Sur sa lancée, il va jusqu’à balayer l’existence des inévitables luttes d’influence à la cour, qui procéderaient d’un « esprit simpliste ». En revanche, il a beau jeu de rappeler les sombres prophéties qui, selon les spécialistes, attendaient, voilà dix ans, un royaume voué au destin de l’Algérie. « Rien de tel n’a eu lieu. Ces partis inopérants, ce gouvernement inefficace et ces institutions truquées ont réussi dans des domaines précis. » Et d’énumérer : sécurité et tranquillité des citoyens, réforme du statut de la femme (Moudawana), organisation d’élections transparentes (« une première dans l’histoire du Maroc »), traitement du dossier Instance Équité et Réconciliation, grands chantiers (Tanger-Med et Bouregreg).

Al-Ahdath revient sur les luttes d’influence au sein du pouvoir. « Sa Majesté a le droit de choisir ses collaborateurs, lâche le ministre, et d’avoir une méthode de travail qui s’adapte à son style. » Il ajoute : « Les personnes formant les équipes qui oeuvrent aux côtés de S.M. ne sortent pas du même moule et elles passent par des moments d’entente ou de désaccord. » On le suit moins lorsqu’il évoque « le processus de décision où prévaut le nécessaire respect des attributions des institutions concernées, qu’il s’agisse du gouvernement, du Parlement ou du Cabinet royal ». Disons qu’ici le propos d’El-Himma devient plus normatif que réaliste, il reflète davantage ce qui devrait se faire que ce qui se fait. De notoriété publique, dans la répartition des attributions, le Palais s’arroge la part du lion alors que le gouvernement et le Parlement sont réduits à la portion congrue.
El-Himma aborde ensuite les sujets délicats. Moulay Hicham, le remuant cousin du roi ? « Les activités du prince ne constituent en aucune manière une menace. » Il évoque leur enfance et leur passion commune pour les westerns comme Le Bon, la brute et le truand… Il ne s’attarde guère sur Nadia Yassine, l’égérie islamiste qui aime occuper la une des journaux. Certes. Mais alors, pourquoi l’avoir aidée à faire sa « com » en la déférant devant la justice ?

Plus intéressant est le cas Hicham Mandari, ce malfrat de haut vol qui s’est fait passer pour un fils putatif de Hassan II, avant de finir assassiné en août 2004 à Marbella. Le personnage a été fabriqué par un journaliste parisien, El-Himma ne sait rien sur le crime et révèle au passage que l’examen ADN a fait justice de ses prétentions dynastiques. Il dénonce le « traitement réservé par certains journalistes marocains à cette affaire ». Et énumère les « scandales » soulevés par la presse nationale qui ont fait long feu : « Mandari, le capitaine Adib, les « officiers libres », les « diplomates libres », les terroristes, les séparatistes et pourquoi pas les éleveurs de tortues libres ? »
Visiblement, Fouad Ali El-Himma en avait gros sur le coeur, et la parole lui fait du bien. À la démocratie aussi.

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