Baudrillard, témoin d’un siècle à venir

Un volumineux numéro des « Cahiers de L’Herne » consacré à ce brillant philosophe qui n’a cessé de remuer notre rapport à la modernité.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 2 minutes.

Une trentaine d’universitaires, d’écrivains, d’essayistes et de journalistes se sont réunis autour du philosophe François L’Yvonnet, cheville ouvrière du volume, pour nous livrer un immense Cahier de L’Herne consacré à Jean Baudrillard, maître à penser comme il n’en existe plus au début de notre XXIe siècle et qui est, à l’instar d’un Lévi-Strauss, l’une des dernières icônes vivantes. Parmi les contributeurs, j’ai noté les noms de François Cusset, Michel Maffesoli, Edgar Morin, Jean Nouvel, Daryush Shayegan, Jacques Bertoin. Tous évoquent leur parcours auprès de Jean Baudrillard, leur compagnonnage, leur amitié.
En filigrane, ce numéro des Cahiers de L’Herne nous offre une sorte d’épopée savante qui s’est étendue sur la seconde partie du XXe siècle. Un bel hommage, donc, à une personnalité complexe et multiforme, qui répugne aux shows médiatiques et qui, regard rieur ou narquois, a l’épaisseur métaphysique d’un sage bouddhiste. Sauf que lui, Jean, n’a pas cessé, en philosophe, de remuer notre rapport à la modernité, car il porte en lui l’Occident tout entier. Depuis un demi-siècle, il le résume, l’explore, l’aime ou l’exècre selon qu’il feint de le quitter ou s’en empare comme d’une arme idéologique lourde (voir ses interventions au temps de la guerre du Golfe). Spécialiste incontesté de l’entre-deux, de l’apparence trompeuse et du simulacre comme dans De la Séduction (édition Galilée, 1979) et de tout ce qui de près ou de loin, objets ou attitudes, esthétique intimiste ou vaines perspectives, rappelle l’étrange légèreté de l’être, son inconsistance. Mais en homme libre, Baudrillard est aussi un magicien qui sait enchanter son époque, et cela depuis son brillant essai de 1968, Le Système des objets, publié aux éditions Gallimard. Sûrement un coup du hasard !
Cette année-là, au bout de quelques semaines d’agitation ouvrière et estudiantine, le monde tel que nous le connaissions alors avait basculé dans le néant. Il disparaissait avec ses formes vaines et compassées, on disait « bourgeoises ». De ses décombres amoncelés naissait notre ère d’aujourd’hui, notre siècle. On ne voyait plus les mêmes choses comme naguère, on ne réfléchissait plus de la même manière, car les intellectuels étaient soudainement pris du vertige de mots et autant d’acting out, comme s’il leur fallait se vider d’un mal qui les rongeait de l’intérieur. Un mal indécent et innommable.
Baudrillard allait tisser patiemment sa toile, poser le trépied de son appareil photo (il est devenu depuis photographe) pour nous décrypter par le menu ce monde des signes comme on a appris à le dire avec Lacan, Barthes, Foucault, Deleuze ou Derrida. Il a posé la première pierre de notre univers symbolique, annoncé la pensée postmoderne et achevé une sorte de cycle d’interrogations continues et discontinues dont la légitimité devait nécessairement rencontrer un public, certes élitiste, mais déterminé. Car je prétends que Baudrillard est encore bien en avance sur toutes nos modes surfaites et que, juché sur son promontoire, il nous regarde avec bienveillance et curiosité. En penseur de demain, il n’arrêtera pas de voguer entre des sémantiques pérennes, mais qui paraissent ordinaires au néophyte, comme le jeu, l’illusion, l’apparence ou l’incertitude. Longue vie au penseur, longue vie à la pensée.

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