Bail à durée indéterminée

Le chef de l’État a fait réviser la Constitution pour rester au pouvoir. Et suscité la colère des bailleurs de fonds et de l’opposition.

Publié le 5 août 2005 Lecture : 3 minutes.

Autrefois perçu comme source d’instabilité pour le pays, le multipartisme est aujourd’hui un modèle vanté par Yoweri Museveni pour « assurer un changement pacifique de gouvernement ». Une évolution toutefois hypothétique puisque le président ougandais, au pouvoir depuis 1986, a dans le même temps fait réaménager la Constitution par l’Assemblée nationale pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats. L’ancien leader révolutionnaire, tombeur du dictateur Milton Obote en janvier 1986, semble vouloir reprendre d’une main ce qu’il donne de l’autre.
Les électeurs n’ont d’ailleurs pas été dupes en ce 28 juillet : 47 % seulement d’entre eux se sont rendus aux urnes pour décider, par voie référendaire, de la fin du « No party system ». Malgré un « oui » massif (92,5 % des suffrages), ce rendez-vous électoral n’est qu’un demi-succès pour le chef de l’État. L’opposition avait appelé au boycottage et a été visiblement entendue. Pour elle, l’apparente ouverture démocratique de Museveni ne vise qu’à rassurer les bailleurs de fonds, qui, après avoir loué les réformes économiques du régime, ont commencé à le critiquer, voire à le contester.
« L’Ouganda a toujours été un pays avec un système de multipartisme, commente un parlementaire de l’opposition, Daniel Omara-Atubo. Ce référendum était complètement inutile, et la faible participation le montre. » Car bien qu’officiellement bannis depuis dix-neuf ans, les partis ne sont pas absents de la scène politique : ils peuvent avoir une enseigne et un siège national dans la capitale à condition qu’ils n’exercent pas d’activité politique contre le « Mouvement » du chef de l’État. Quant à leurs candidats, ils ne peuvent se présenter aux scrutins présidentiels qu’à titre d’indépendants.
Plus grave, selon les observateurs : l’adoption par le Parlement, le 12 juillet, d’une révision constitutionnelle pavant la voie d’une réélection de Museveni en février 2006. Après le scrutin de 2001, le président avait pourtant indiqué qu’il entamait son deuxième et dernier quinquennat. Dès 1997, dans sa biographie intitulée Semer la graine de moutarde, il avait également écrit : « Il y a maintenant des personnalités capables d’assumer la fonction présidentielle lorsque je prendrai ma retraite, et je serai le premier à les soutenir. »
Il est vrai qu’à 61 ans Museveni est un habitué des volte-face. Ancien guérillero, il s’est rapidement converti au libéralisme en appliquant à la lettre les recommandations des institutions de Bretton Woods. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les États-Unis en tête, les puissances occidentales ouvraient les vannes de l’aide extérieure (près de 40 % du budget aujourd’hui) et l’Ouganda enregistrait une croissance annuelle moyenne de 7 % tout en contenant efficacement la propagation du VIH-sida.
Fort du soutien de la communauté internationale comme des leaders africains, Museveni n’en a pas moins abandonné sa propre conception de la bonne gouvernance. Il a toujours refusé le système démocratique sous prétexte qu’il induit une « dépendance idéologique ». Si Washington a d’abord fermé les yeux, c’est parce que Kampala lui servait de base pour lutter contre le pouvoir islamiste soudanais tout en sécurisant la région pétrolifère du sud de ce pays alors qualifié d’« État voyou ». En aidant Museveni à combattre les rebelles de Joseph Kony, qui sèment la terreur à partir du Sud-Soudan depuis plus de dix-huit ans avec la bénédiction de Khartoum, les États-Unis visaient directement le régime soudanais.
Une fois l’accord de paix entre le Nord et le Sud-Soudan signé en janvier, l’administration américaine a commencé à laisser Museveni se démener seul avec les quelque 400 combattants de l’Armée de résistance du Seigneur. Débarrassé de cet allié somme toute embarrassant, Washington a pu ainsi se montrer plus regardant, à l’instar de Londres, Dublin et Oslo, sur le respect des droits de l’homme et du jeu démocratique en Ouganda.
La Grande-Bretagne, l’Irlande et la Norvège ont déjà mis leur menace à exécution en privant Kampala de quelque 17 millions de dollars d’aide. Au regard des 850 millions de dollars qu’a reçus l’Ouganda en 2004, il s’agit surtout d’un geste symbolique. C’est du moins l’interprétation des autorités, qui estiment que l’autorisation du multipartisme est une concession bien suffisante. Érigé en modèle pour le continent, Yoweri Museveni rejoint cependant le clan honni des présidents africains décidés à se maintenir au pouvoir coûte que coûte.

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