Aux sources de l’islam

Publié le 5 août 2005 Lecture : 6 minutes.

Bahgat Elnadi et Adel Rifaat sont égyptiens et ne font qu’un écrivain : Mahmoud Hussein. Leur dernier livre, Al-Sîra. Le Prophète de l’islam raconté par ses compagnons, édité à Paris par Grasset, fait revivre en préambule l’Arabie avant l’islam : le cadre dans lequel va intervenir la prophétie de Mohammed. Il présente au lecteur, ensuite, le milieu familial du messager de Dieu.
Le corps de ce tome i est consacré, lui, aux dix premières années de la prophétie, les plus difficiles, qui ont pour cadre La Mecque, et au cours desquelles Mohammed tente de faire venir à l’islam, nouvelle religion, ses proches, les membres de son clan et de sa tribu, tous ancrés depuis toujours dans l’idolâtrie.
Le tome ii (à venir) nous montrera l’islam des premières années de l’Hégire, installé à Médine, à l’aube de son triomphe planétaire.

Faciles d’accès, les 529 pages du tome i sont une excellente synthèse de toutes les sources existantes, la plupart en langue arabe.
Le livre de nos deux auteurs a d’ailleurs été conçu, composé et rédigé en arabe. « Ensuite seulement, précisent-ils, nous avons procédé à la mise en forme de la version française. »
Que vous soyez musulman ou non, ce livre vous intéressera sans aucun doute et vous apprendra beaucoup. Pour ma part, en tout cas, j’ai trouvé grand plaisir à le lire.
La pépite que j’ai extraite pour vous raconte une histoire particulière : celle de Bahiyya, une femme qui accepte d’épouser un grand seigneur arabe, mais pose ses conditions avant de l’accueillir sous sa tente, c’est-à-dire dans son lit.

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Une femme au caractère bien trempé

Al-Hârith ibn Awf, de la tribu des Hawâzin, était un grand seigneur arabe. Il dit un jour
à son ami al-Khârija ibn Sinân :
Y a-t-il un Arabe à qui je demanderais la main de sa fille et qui me la refuserait ?
Son ami répondit :
Oui.
Qui donc ?
Aws ibn Hâritha, de la tribu de Tayy’.
Al-Hârith dit alors à son ami :
Allons-y.
Ils se mirent en route pour aller voir Aws dans sa tribu et le trouvèrent assis à la porte de sa maison. Lorsqu’il les vit, il dit :
Bienvenue à toi, al-Hârith !
Salut à toi.
Quel est l’objet de ta visite ?
Je viens te demander la main d’une de tes filles.
Je ne puis te l’accorder.
Al-Hârith tourna les talons et repartit sans un mot, suivi de son ami al-Khârija. Aws rentra furieux dans sa maison. Sa femme lui demanda :
Qui était cet homme venu te voir et à qui tu n’as presque pas adressé la parole ?
C’est al-Hârith ibn Awf.
Comment se fait-il que tu ne l’aies pas invité chez toi ?
Il a agi sottement.
Comment cela ?
Il est venu me demander la main d’une de mes filles.
Tu ne veux pas marier tes filles ?
Si.
Si tu les refuses à un grand seigneur arabe, à qui les accorderas-tu ?
C’est fait. Je n’y puis plus rien.
Tu peux revenir sur ce que tu as fait.
Comment ?
Va le rejoindre et ramène-le.
Après ces paroles qui m’ont échappé, comment ferai-je ?
Tu lui diras : « J’étais contrarié par une affaire où tu n’es pour rien. Ces paroles m’ont échappé. Reviens et tu auras tout ce que tu désires. » Il reviendra.
Aws enfourcha sa monture et partit sur les pas d’al-Hârith et al-Khârija. Ce dernier le vit en premier et dit à son ami :
Aws nous suit.
Al-Hârith, le visage fermé, dit :
Qu’avons-nous à faire de lui ? Continuons d’avancer.
Voyant qu’ils ne s’arrêtaient pas, Aws cria très fort :
Attends-moi, al-Hârith, et parlons.
Ils s’arrêtèrent et il les rejoignit pour dire à al-Hârith ce que sa femme lui avait conseillé de dire. Al-Hârith, tout content, s’en revint avec lui accompagné d’al-Khârija.
Aws les fit asseoir dans sa maison, puis il alla voir sa femme et lui dit :
Appelle-moi l’aînée des filles.
Lorsque l’aînée des filles fut venue, il lui dit :
Ma fille, al-Hârith ibn Awf, l’un des grands seigneurs arabes, est ici pour me demander la main d’une de mes filles. Je voudrais te marier à lui. Qu’en penses-tu ?
Elle répondit :
Ne le fais pas.
Pourquoi donc ?
J’ai des défauts, au visage et ailleurs. Cet homme, n’étant pas mon cousin, ne serait pas tenu avec moi d’honorer les liens de parenté. Habitant loin de chez toi, rien ne le retiendrait de me maltraiter. Et quand il verra mes défauts, je ne suis pas sûre qu’il ne me répudie pas. Ce qui me remplirait de honte.
Aws lui dit :
Va, Dieu te bénisse, ma fille.
Puis il demanda à sa femme d’appeler sa deuxième fille, à qui il tint le même langage. Elle lui répondit :
Je suis sotte et ne sais rien faire de mes mains. Je crains que, voyant mes défauts, il ne tarde pas à me répudier. Ce qui me remplirait de honte. Il n’est pas mon cousin pour devoir honorer mes droits, et il habite trop loin de toi pour se retenir de me maltraiter.
Va, ma fille, Dieu te bénisse. Appelle Bahiyya.
Bahiyya était la plus jeune de ses filles. Il lui tint le même langage qu’aux deux premières. Elle lui répondit :
J’accepte.
J’ai fait la même proposition à tes deux surs, qui ont toutes deux refusé.
Mais moi, par Dieu, je suis belle de visage, habile des mains et, par mon père, de noble ascendance. Si cet homme me répudie, Dieu le châtiera.
Aws se leva et dit :
Dieu te bénisse.
Puis il alla retrouver al-Hârith ibn Awf et lui dit :
Je te donne en mariage ma fille Bahiyya.
J’accepte.
Aws demanda à sa femme d’apprêter leur fille et fit dresser une tente où il invita al-Hârith à attendre Bahiyya qui, une fois prête, vint le rejoindre pour la nuit. Mais peu
de temps après, al-Hârith sortit de la tente pour aller voir son ami al-Khârija. Ce dernier lui demanda :
As-tu fait ce que tu avais à faire ?
Al-Hârith répondit :
Par Dieu, non.
Pourquoi donc ?
Lorsque je me suis approché d’elle, elle a dit: « Tu voudrais faire cela chez mon père et mes frères ? Par Dieu, ce n’est pas possible. »
Al-Hârith donna l’ordre du départ et ils prirent la route. Après de longues heures de marche, ils firent halte et al-Hârith vint retrouver sa femme sous la tente. Il en sortit peu après et alla voir son ami al-Khârija, qui lui demanda :
Est-ce fait ?
Non, par Dieu.
Pourquoi donc ?
Elle m’a dit : «Tu voudrais faire cela comme si j’étais une esclave ou une captive ? Par Dieu, cela ne se fera que lorsque tu auras égorgé les moutons, invité les Arabes et donné la fête qui convient à une personne de ma qualité. »
Par Dieu, je lui trouve de la fierté et de l’intelligence. Dieu veuille qu’elle te donne des enfants.
Ils repartirent et arrivèrent au pays d’al-Hârith, où ce dernier fit amener chameaux et brebis pour la fête. Puis il entra sous sa tente. Mais il en ressortit presque aussitôt
et alla voir son ami, qui lui demanda :
Est-ce fait ?
Non.
Pourquoi ?
Je suis entré chez elle et lui ai dit : « Ce que j’ai fait suffit-il ? » Elle m’a répondu : « Tu m’as parlé d’honneur et tu en es dépourvu. » Je lui ai demandé : « Que dis-tu là ? » Elle a répondu : « Comment peux-tu songer à une femme alors que les Arabes s’entre-tuent ? » Elle voulait parler de la guerre entre Dâhiz et al-Ghabrâ’. Je lui ai dit : « Qu’attends-tu de moi ? » Elle a répondu : « Va vers ces gens et réconcilie-les. Quand tu reviendras, tu auras ce que tu désires. »
Al-Khârija répéta :
Par Dieu, je lui vois de la fierté et de l’intelligence. Elle parle de raison.
Al-Hârith dit :
Allons-y.
La guerre durait depuis plus de quarante années et les deux camps étaient épuisés. Al-Hârith ibn Awf fut chaleureusement accueilli par eux et en particulier par le clan des Abs, auquel appartenait sa femme. Il n’eut pas de peine à les réconcilier. Après quoi il alla retrouver Bahiyya et s’unit à elle.

L’histoire de Bahiyya est une parabole doublement révélatrice, d’un rejet croissant des interminables guerres tribales de l’époque et du rôle que pouvaient jouer certaines femmes, au caractère bien trempé, pour infléchir le cours des choses.

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