Zapping tous azimuts
La presse écrite mais aussi l’audiovisuel entrent de plain-pied dans l’ère du pluralisme. Et découvrent les exigences de la concurrence.
«Le Maroc a engagé une réforme profonde et ambitieuse de son paysage médiatique. Il fallait sortir de l’ère du monopole et entrer dans celle du pluralisme, sortir d’une organisation vieillotte et mettre en place des structures nouvelles capables de relever les défis de la modernité. » Tel est le credo du ministre de la Communication, Nabil Benabdellah, pour qui le pays est en train de vivre « une révolution, dont l’impact politique, économique, culturel et social sera très important ».
En effet, le paysage audiovisuel marocain (PAM) connaît des bouleversements majeurs qui se traduisent par l’arrivée quasi simultanée de nouveaux opérateurs de télévision et de radio publiques et privées. D’indigente et figée, voire archaïque il y a peu, l’offre s’est diversifiée et a gagné indéniablement en qualité. Jusqu’en 2004, le royaume ne comptait que deux chaînes de télévisions publiques (TVM et 2M) et quatre stations radio. Frustré, le public marocain se consolait alors avec des chaînes étrangères telles qu’Al Jazira (captée par satellite) et TF1, M6 ou TV5. Bien que sa diffusion au Maroc ne soit pas officielle, le bouquet TPS, via des cartes numériques piratées, donne accès à l’intégralité des programmes français.
Désormais, le lecteur, téléspectateur ou auditeur a l’embarras du choix devant une pléthore de produits médiatiques. Pour le seul secteur de la presse nationale, on recense aujourd’hui quelque 700 titres, dont 23 quotidiens (contre 6 en 1994), et 60 hebdomadaires (2 en 1980). Presse généraliste ou spécialisée au ton étonnamment audacieux, mensuels masculins (Version homme, Masculin) et féminins (Femmes du Maroc, Citadine, Ousra), revues automobile (Autonews), magazines people Les kiosques à journaux deviennent soudain trop exigus pour accueillir tous les supports.
La floraison actuelle de chaînes télévisées, de radios et de journaux est bien sûr liée aux nombreuses réformes mises en place par l’État et qui permettront, selon le vu de Mohammed VI, de voir « émerger des entreprises de médias professionnelles, libres et crédibles ». Parmi les réformes de fond, la Haute Autorité de communication audiovisuelle (Haca) a été créée en août 2002. Calquée sur le modèle français, cette instance de régulation a pour mission d’étudier les projets et d’attribuer les licences aux opérateurs. Autre innovation, la loi sur la libéralisation de l’audiovisuel entérinée en novembre 2004 qui abroge le monopole de l’État sur la radio et la télévision, et ouvre le marché aux investisseurs du privé. Mais le texte pose clairement des limites : les médias qui obtiennent des licences de diffusion hertzienne doivent respecter la monarchie et les principes du royaume en matière d’islam et d’intégrité territoriale. En dépit des fameuses « lignes rouges » relatives au Sahara occidental et à la personne du roi, le champ de la liberté d’expression s’est considérablement élargi sous le règne de Mohammed VI. Une réalité que même Robert Ménard, le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), a reconnue lors de sa visite à Casablanca le 6 avril dernier, en déclarant qu’« il y a plus de liberté au Maroc que dans n’importe quel autre pays arabe ou musulman ».
Enfin, la réforme en cours du code de la presse complète la batterie de mesures prises par le gouvernement. Selon le ministère de la Communication, le futur code « tendra non seulement à supprimer les peines privatives de liberté, mais à revoir le système de saisie et d’interdiction des journaux ».
Toutefois, la révision de l’article 20 dudit code ne semble pas à l’ordre du jour, puisque c’est en vertu de cet article que les autorités en accord avec le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) ont officiellement signifié, le 20 mars 2006, leur rejet du Mepi (Middle East Partnership Initiative). Cette proposition de l’administration américaine de subventionner (avec un budget de 5 millions de dollars) la presse indépendante dans le monde arabo-musulman est effectivement en contradiction avec l’article 20, qui interdit aux médias nationaux d’accepter des soutiens financiers de l’étranger. D’autant que l’État a lui-même mis en place un système de subvention transparent, en accord avec les professionnels, afin de moderniser le secteur. L’affaire du Mepi a fait couler beaucoup d’encre, et certains journaux, dont le quotidien islamiste Attajdid (proche du PJD), ont dénoncé une manuvre propagandiste visant à servir le projet bushiste de « Grand Moyen-Orient ». Sur ce point, Radio Sawa et la chaîne Al Hurra (créations américaines en langue arabe), déjà présentes dans le PAM, souffrent d’une mauvaise image auprès d’une frange de l’opinion.
Le paysage médiatique marocain connaît donc de profondes mutations. Nul doute que le libre-jeu de la concurrence va contribuer à élever le niveau de l’offre et la qualité de la production artistique, musicale et audiovisuelle. Seuls les acteurs les plus compétitifs, capables de proposer des programmes conformes aux attentes et aux spécificités du public marocain pourront se maintenir, tandis que les moins professionnels devront s’effacer. Au-delà, c’est tout à la fois la modernité, la démocratie et la liberté qui sortiront renforcées.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?