Un vrai casse-tête
Le Parlement marocain a deux gros dossiers à traiter durant sa session de printemps, ouverte le 14 avril. D’abord, le nouveau code de la nationalité, qui permet la transmission de celle-ci par la mère et évite aux Marocaines mariées à des étrangers bien des tracasseries administratives. Ensuite, et surtout, le choix du mode de scrutin pour les élections législatives de l’an prochain.
Les flottements des partis sur la question reflètent une difficulté à cerner les objectifs. Le Maroc a opté en 2002 pour un scrutin de liste à la proportionnelle au plus fort reste. Ce système avait été quasi imposé par le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi, qui y voyait le moyen d’assurer la suprématie des partis sur les individus et, surtout, de limiter le phénomène des achats de voix. Les résultats n’ont pas répondu aux attentes. Dans tous les partis sans exception, la désignation des têtes de liste a tourné à la guerre de clans. Et la faible participation a facilité l’achat des voix, certains candidats réussissant à se faire élire en raflant la totalité des suffrages dans tel ou tel bidonville !
Depuis deux ans, les débats sur le mode de scrutin ont pour toile de fond la montée en puissance des islamistes. À gauche, on a d’abord opté pour le retour au scrutin uninominal à deux tours, ce système étant censé favoriser les alliances et donc permettre de contenir les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD). L’idée a vite été abandonnée, pour plusieurs raisons. D’abord, le coût financier de sa mise en uvre. Ensuite, parce que la discipline de vote est très aléatoire et que le taux de participation risquait de baisser encore un peu plus. L’uninominal à un tour a, pour sa part, été jugé dangereux dans la mesure où, amplifiant les phénomènes majoritaires, il risquait de gonfler une éventuelle victoire du PJD. Du coup, ne reste plus que le scrutin de liste, auquel l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et l’Istiqlal veulent toutefois imposer un sérieux lifting.
Ils proposent en premier lieu d’agrandir les circonscriptions. En 2002, trois, quatre ou cinq sièges, en fonction de l’importance de leur population, étaient en jeu dans chacune d’elles. Beaucoup plus vastes, les nouvelles circonscriptions qu’ils souhaitent mettre en place compteraient entre dix et douze députés. L’objectif est évidemment d’éliminer le phénomène de l’achat de voix par les notables.
À en croire tous les observateurs, l’inconvénient de cette formule est qu’elle risque de faire baisser le taux de participation, déjà faible. Les élections marocaines restent en effet très « personnalisées » en raison de la faiblesse de l’encadrement partisan et de l’abstention d’une partie importante de population, lasse des fraudes à répétition. Ce système risque donc lui aussi de profiter au PJD. En 1997 comme en 2003, les islamistes ont en effet démontré leur capacité à mobiliser l’ensemble de leurs sympathisants, ce qui est loin d’être le cas des forces dites démocratiques, coutumières des luttes fratricides avant chaque élection. Le système de listes va d’ailleurs amplifier les bagarres entre candidats à la candidature.
Le lifting proposé concerne deux autres points qui risquent d’alimenter la polémique. 1. Passer de la proportionnelle au plus fort reste à la proportionnelle à la moyenne la plus forte. 2. Éliminer toutes les listes qui n’ont pas atteint au niveau national 7 % des suffrages exprimés. Ces dispositions sont également soutenues par le PJD. Sur ce point, il existe une alliance objective entre les grands partis pour éliminer les petites listes.
En 2002, le problème avait déjà été posé, mais, cédant aux pressions de deux de ses alliés de l’époque, le PPS et le PSD (aujourd’hui dissous), Youssoufi s’était résolu à abaisser la barre à 3 %. Et sur la base de la circonscription. En clair, les listes qui n’avaient pas recueilli 3 % des voix dans une circonscription étaient ipso facto éliminées et les calculs refaits. Élever la barre à 7 % des suffrages, au niveau national, conduirait inévitablement à l’éviction du Parlement de tous les petits partis, en particulier du PPS, qui est une composante essentielle de la Koutla démocratique et un animateur de la vie politique depuis cinquante ans. Restera alors la possibilité d’alliances et de listes communes. Ni Istiqlal ni l’USFP ne l’excluent. Au contraire, ils affirment la souhaiter. Mais tout le monde s’accorde sur la difficulté de sa mise en place. La discipline partisane que nécessite ce genre de compromis est très difficile à obtenir et l’on risque d’aboutir à des situations de conflit et à des déperditions de forces plutôt qu’à l’unité.
Et ce n’est pas tout ! Certains avancent en effet l’idée de l’instauration d’une liste nationale qui serait réservée aux cadres des différents partis. La loi électorale de 2002 attribue déjà trente sièges de députés sur la base des suffrages recueillis nationalement. Les électeurs doivent donc voter deux fois : d’abord pour une liste de circonscription, ensuite pour une liste nationale. Les partis se sont mis d’accord pour que cette liste soit réservée aux femmes, de manière à leur garantir au moins trente sièges au Parlement. La nouvelle proposition vise à transformer le consensus en loi. Trente sièges continueraient d’être réservés aux femmes, mais trente autres le seraient aux cadres des partis. Les partisans de cette idée expliquent qu’il est très difficile de faire élire des cadres nationaux dans des consultations où les considérations purement locales sont souvent déterminantes – ce qui appauvrit le Parlement. Ses adversaires estiment qu’un tel tour de passe-passe relève de la démocratie censitaire.
Le choix d’un mode de scrutin n’est jamais une opération purement technique et relève toujours d’un calcul politique d’ensemble. Mais au Maroc, la complexité des objectifs – affermir la démocratie tout en contenant la poussée islamiste, politiser les élections sans diminuer la participation – est telle que l’affaire tourne au véritable casse-tête.
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