Un chiffon sale agité sous le mufle des veaux

Publié le 9 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

Jadis, on disait : un drapeau. Ou bien : les Trois Couleurs. Félicitons-nous qu’en l’affaire ce qui en tient lieu désormais ne soit pas encore taché de sang. À notre connaissance, du moins. Et, en l’occurrence, notre connaissance ne va pas bien loin.
Les Français, quand on les interroge, déclarent ne rien comprendre à cette affaire Clearstream, qu’ils ont vue naître dans l’indifférence, sous une autre forme, il y a des lustres, puis « muter » il y a deux ans comme un mauvais virus et gonfler sous leurs yeux, dans l’édition, dans la presse et finalement à l’Assemblée, à l’instar d’un feu embrasant soudain les combustibles qu’on avait entassés dans un coin de la cheminée. Jusqu’à ce que le consensus politico-médiatique la labellise définitivement « crise de régime » et « affaire d’État », ce qu’elle ?semble bien être devenue.
De quoi s’agit-il, en un mot ? De corruption, tout d’abord. On pourrait presque dire : de cette corruption ordinaire, qu’on qualifie de « commissions » et qui infecte la plupart des énormes ventes d’armes réalisées sur la planète. Celle-ci concerne, en 1991, l’achat par Taiwan de six frégates au groupe français Thomson, avec l’accord de Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères. Laissons de côté les « détails » de l’épisode pour n’en choisir qu’un seul : à l’occasion de cette transaction, 500 millions de dollars de commissions occultes se sont évaporés dans la nature. À ce jour, la seule certitude est qu’ils sont « quelque part », c’est-à-dire dans une structure financière apte à leur donner accueil.

De rumeur, ensuite : on imagine bien que ce pactole est de taille à émouvoir les protagonistes des zones grises du pouvoir et de l’argent, cornaqués par les spécialistes de tout poil que leur fournissent généreusement les « Services ». Depuis une semaine, la presse en portraiture plusieurs sous leur meilleur profil. Nous n’y reviendrons donc pas, sauf pour observer, dans ce monde de verrous administratifs, de barrières sociales, et de visas, avec quelle facilité ils circulent sur les cimes du pouvoir politique et des organigrammes des firmes d’État. En novembre 2003, l’un d’eux produit une liste de noms accompagnés, chacun, d’un numéro de compte ouvert dans une officine financière, trouvaille qu’on doit à un « expert » en informatique, certes douteux, mais non dénué de talent. La liste des véreux présumés (la francophonie serait-elle à ce point mise à mal qu’on doive écrire, comme partout, « le listing ») parvient sous les yeux de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères. Divine surprise : le nom de son rival de toujours, Nicolas Sarkozy, y figure en bonne place, parmi quelques fonctionnaires, des personnalités socialistes et d’autres (la chanteuse Alizée et Laetitia Casta), qui, à l’évidence, intéressent moins ! N’est-il pas « humain », de la part d’un ministre, de chercher à y voir clair sur ce qui pollue – l’ancien secrétaire général de l’Élysée est bien placé pour le savoir – le « lobby militaro-industriel » étatique, comme on l’appelait en un temps où semblables pratiques suscitaient encore l’authentique indignation de la gauche ?
Exalté tel qu’en lui-même, le futur Premier croit alors, un peu tôt, qu’il a coincé ce vilain Nicolas qui encombre son chemin vers la présidence et s’exclame qu’il « le tient ». Faute. Villepin, qui avait déjà eu à faire au général Philippe Rondot, un as du renseignement habitué à travailler en artisan, sans faire de vagues, l’envoie au charbon. Cela pourrait être par « devoir citoyen », même si cela arrangerait sans doute Galouzot que Rondot ramène de quoi couler son concurrent, mais la démarche n’a rien de particulièrement choquant. En plus, il n’y a pas mort d’homme : Rondot conclut que le tuyau est crevé, et l’on en reste là. Sans, bien sûr, que Villepin, déçu, aille jusqu’à informer Sarkozy qu’il l’a loupé !

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De mensonge, enfin, et il n’est, dès lors, plus question que de cela, de « révélation » en « flash spécial » et autres « coups de théâtre », pour la plus grande jubilation des audimats, des gazettes en détresse et des hommes politiques heureux de rompre avec ces « temps de manque » d’une fin de mandat morose. Parole de flic contre parole de Premier ministre, parole de barbouze contre parole de fonctionnaire, « gorge profonde » contre tribune à l’Assemblée, il s’avère que Villepin a menti en déclarant qu’il n’avait rien diligenté du tout. Contre toute attente, il s’en tient dur comme fer à sa version d’avoir laissé les choses en l’état, alors même qu’il avait en main le moyen de nettoyer les écuries d’Augias
Tout ceci ne serait qu’écume banale dans la vie d’une de ces grandes démocraties accoutumées à enseigner la morale au monde entier si le « momentum » des événements n’était, en revanche, singulier : qui entend, dans le formidable vacarme de Clearstream, la petite voix de ceux qu’indigne la loi que l’actuel ministre français de l’Intérieur, victime innocente de cette épouvantable machination, va faire adopter par la représentation nationale ? Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de rétablir cette « traite » dont on a tant parlé, s’agissant de commémorations des temps anciens Il est vrai qu’on ne doit plus, cette fois, regarder seulement les dents et les muscles des candidats à l’immigration, mais aussi leurs diplômes. Quant aux questions qui devront leur être posées, demandez à Le Pen : c’est lui qui rédige si le chiffon a rempli son office !

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