Retour de bâton à N’Djamena
Depuis qu’il a acquis son indépendance il y a quarante-six ans, le Tchad est un modèle hors norme de dysfonctionnement. Dans les années 1970, le président tchadien, François Tombalbaye, avait exigé des fonctionnaires qu’ils abandonnent tout comportement occidental, qu’ils se soumettent au rite d’initiation tribal connu sous le nom de Yondo et se convertissent à ce qu’il appela la « Tchaditude ».
Dans les années 1980, un dirigeant rebelle du nom de Hissein Habré conduisit son armée jusque dans le palais présidentiel et s’empara du pouvoir. Il reçut l’étiquette de « Pinochet africain », poursuivit et fit assassiner les opposants à son régime pendant près d’une décennie.
En 1990, Habré fut chassé du pouvoir par un groupe armé conduit par l’actuel chef de l’État, Idriss Déby Itno. Ce dernier fait aujourd’hui face à sa propre rébellion.
Aux yeux des Américains, cette série de coups d’État pourrait bien paraître ésotérique, en raison de l’instabilité et de l’éloignement du pays. Ce serait pourtant une erreur de le penser. La CIA a armé Habré pendant des années et, depuis 2003, l’armée américaine entraîne et équipe les forces de Déby Itno, faisant de la lutte de ce dernier pour rester au pouvoir celle des Américains également.
L’année dernière, le Tchad a pris part à un vaste exercice militaire international – le plus important en Afrique depuis la Seconde Guerre mondiale, selon le département d’État – organisé par les États-Unis. Les forces américaines vont continuer à conseiller les militaires tchadiens, et on s’attend à ce que le Congrès affecte 500 millions de dollars à un programme étalé sur cinq ans pour entraîner et équiper plusieurs armées dans la zone saharienne – y compris le Tchad.
Washington espère que ces initiatives aideront à contenir la menace terroriste dans cette région. Mais accorder aujourd’hui une aide militaire au Tchad – alors que des centaines de rebelles combattent Déby Itno avec l’appui du Soudan – semble sans objet. C’est l’armement et l’expertise militaire américains qui sont mis entre les mains d’un dictateur désespéré. Pis : tout cela risque d’alimenter davantage la guerre civile au Darfour et, tout compte fait, peut être un obstacle à l’issue diplomatique de cette crise. []
Un seul argument milite en faveur de l’aide militaire au Tchad. Il procède de la logique du moindre mal. Plusieurs réfugiés fuyant le Darfour sont zaghawas. Déby Itno les a accueillis. Si son régime tombe, des dizaines de milliers de gens se retrouveront une fois de plus à la merci des maraudeurs Djandjawids, et le génocide pourrait s’étendre.
Toutefois, un autre événement récent vient compliquer cette thèse. Au cours des derniers mois, un nombre important de militaires tchadiens a fait défection pour rejoindre les milices rebelles. Si cette tendance se poursuit, l’équipement et l’expertise militaire américains risqueraient de finir entre les mains de rebelles proches des Djandjawids. Dans ce cas, loin de mettre fin à l’anarchie, la démarche américaine ne fera que l’aggraver. ¦
© The New York Times et Jeune Afrique 2006. Tous droits réservés.
* Raffi Khatchadourian s’est rendu au Tchad en 2005 pour le compte de l’« International Reporting Project » du « School of Advanced International Studies » de l’université Johns-Hopkins.
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