Préservatif : vers la levée de l’interdit ?

Publié le 5 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

L’Être suprême mis à part, le Vatican prend souvent des libertés avec l’absolu. « Tu ne tueras point », mais il y a quand même la guerre. Voilà que derrière ses murs tranquilles se manifeste un affrontement entre deux quasi-certitudes : l’une est la vieille interdiction par l’Église de l’usage du préservatif, l’autre, la recommandation plus récente de sauvegarder la vie humaine, du ventre de la mère jusqu’au dernier soupir.
Au centre de la querelle, depuis des années, le sida. Le pape Benoît XVI a commandé une étude pour savoir s’il serait acceptable que des catholiques utilisent des préservatifs dans des circonstances très particulières : pour protéger la vie dans un mariage au cas où l’un des conjoints serait séropositif. Quelle que soit la décision finale du Saint-Père, beaucoup de prêtres et de leurs ouailles sont sensibles au fait qu’un problème aussi délicat soit soulevé en haut lieu. Mais ils reconnaissent que c’est à bien des égards normal, et particulièrement significatif de la part de Benoît XVI, qui, lorsqu’il n’était que le cardinal Joseph Ratzinger, a rigoureusement fait appliquer aux côtés du pape Jean-Paul II les préceptes de la foi. Certains remarquent que s’il a pu se permettre une telle audace, c’est parce qu’il ne saurait y avoir de doute sur son orthodoxie.
Le seul changement envisagé, semble-t-il, est pour les couples mariés. Toute autre utilisation de préservatifs resterait interdite, de même que les relations sexuelles hors mariage, avec ou sans préservatif. Mais certains dévots se sont déjà étonnés que le pape Benoît XVI se montre un défenseur de la foi moins ferme que ne l’était le cardinal Ratzinger.
Il est trop tôt pour dire jusqu’où ira Benoît XVI. La seule certitude est qu’il a commandé cette étude. Le cardinal mexicain Javier Lozano Barragan, président du Conseil pontifical pour la pastorale de la santé, a indiqué, dans une interview au quotidien La Repubblica, que Benoît XVI avait donné ces instructions il y a deux mois, dans le cadre d’une recherche plus large sur des problèmes bioéthiques. « Mes services y apportent le plus grand soin, aux côtés de scientifiques et de théologiens chargés d’établir sur le sujet un document qui sera bientôt rendu public », a expliqué le cardinal. Assez jésuitiquement, il a fait machine arrière quelques jours plus tard, déclarant à l’agence de presse Zenit : « Nous en sommes à la première étape. Lorsque nous aurons terminé, y aura-t-il un document ? Peut-être que oui, peut-être que non. »
En fait, le débat se poursuit depuis des années. Certains cardinaux et théologiens plaident en faveur des malheureux ménages, où l’un des conjoints est porteur du VIH, au nom de la protection de la vie. D’autres s’indignent qu’on ait l’air de douter des remèdes recommandés par l’Église pour combattre le fléau : l’abstinence et la fidélité conjugale. D’autres facteurs interviennent dans le débat. L’Église fait le plus grand nombre de convertis en Afrique subsaharienne, l’épidémie de sida cause le plus de ravages. Une grande partie des soins médicaux y sont prodigués par des organisations caritatives catholiques, dont les membres n’ont pas le droit de proposer des préservatifs et sont déchirés entre la fidélité à la doctrine de l’Église et la volonté de prendre des mesures concrètes pour combattre la maladie. Les adversaires de la politique actuelle du Vatican soulignent qu’il y a une contradiction entre, d’une part, la « défense de la vie », l’opposition à l’avortement, à l’euthanasie et à la peine de mort, et, d’autre part, le rejet du préservatif, qui, selon les médecins, est la meilleure protection contre le VIH-sida.
Mais la résistance au changement est profondément ancrée dans les esprits. On s’oppose à tout ce qui porterait atteinte à l’encyclique Humanae Vitae, publiée en 1968 par Paul VI, qui interdit la contraception, et l’on craint qu’une exception accordée pour le sida ne soit considérée comme un encouragement à un usage généralisé du préservatif. Le cardinal Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan et porte-parole du courant réformateur, a débattu du problème dans un entretien avec le bioéthicien Ignazio Marino publié le 20 avril par l’hebdomadaire L’Espresso. « Il est certain, disait-il, que l’utilisation du préservatif peut, dans certains cas, constituer un moindre mal, et notamment lorsque l’un des époux est porteur du VIH. » Mais il ajoutait qu’il fallait « veiller à ne pas rejeter au second plan d’autres moyens moralement défendables, tels que l’abstinence ».
Le débat se situe à deux niveaux : l’un, théologique et moral, met en cause la doctrine de l’Église ; l’autre, politique, se place sur le plan des relations publiques. Les arguments moraux remontent à deux millénaires, à l’idée que l’Église a la responsabilité, dans des cas difficiles, de recommander le choix du « moindre mal ». S’agissant des préservatifs, il faut admettre que lorsqu’un des époux est porteur du VIH, le moindre mal peut être d’en conseiller l’utilisation pour éviter une autre infection mortelle, si le couple a décidé de ne pas pratiquer l’abstinence. On ne juge pas, alors, qu’il est moralement bien ou mal de l’utiliser, on dit seulement à l’utilisateur que c’est un moindre mal, mais que cela reste mal. Autre argument : « l’autodéfense ». Le conjoint sain peut exiger l’utilisation du préservatif comme un moyen légitime de se protéger contre l’infection. Ou bien le préservatif peut être considéré plus comme une intervention médicale que comme un moyen contraceptif. Certains soulignent aussi que mettre un préservatif est un choix et qu’il faut donc prendre en compte l’intention.
Au-delà de toutes ces subtilités théologiques, des catholiques plus réalistes rappellent que Richard Nixon a envoyé Henry Kissinger chez Mao Zedong sans consulter personne et s’en est bien trouvé : Benoît XVI peut donc faire accepter un certain usage du préservatif sans être excommunié. n
© The New York Times et Jeune Afrique 2006. Tous droits réservés.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires