Pendant la brouille, les affaires continuent

La signature d’un traité d’amitié entre les deux pays est remise aux calendes grecques. Mais le marché algérien a décidément bien des attraits.

Publié le 5 mai 2006 Lecture : 4 minutes.

En Algérie comme en France, les partisans de la signature à brève échéance d’un traité d’amitié entre les deux pays retiennent leur souffle. Car le 51e anniversaire des « événements » du 8 mai 1945 ne pouvait plus mal tomber. La sanglante répression par les forces coloniales de manifestations nationalistes à Sétif, Guelma et Kherrata (entre 15 000 et 80 000 victimes, selon les sources) reste en effet un souvenir fort douloureux en Algérie
En mars 2003, les présidents Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac s’étaient engagés, de manière quelque peu volontariste, à aboutir avant le 31 décembre 2005. Mais l’adoption par le Parlement français, dix mois avant l’échéance, d’une loi exaltant les bienfaits de la colonisation, singulièrement en Afrique du Nord, a été ressentie par le chef de l’État algérien comme un coup de poignard dans le dos. Aussitôt, le ton de ses discours à l’égard de la France a pris un tour extrêmement agressif. En mai 2005, il a comparé les « enfumades » par les forces d’occupation françaises de paysans algériens réfugiés dans des grottes aux fours crématoires des camps de concentration nazis. Un an plus tard, il a estimé que le colonialisme français s’était rendu coupable d’un « génocide contre l’identité algérienne ».
Une partie de la classe politique française a réagi à l’unisson. Jean-Marie Le Pen, le président du Front national, s’est indigné que Bouteflika – qu’il continue d’assimiler à un terroriste parce qu’il a pris les armes contre la France, il y a un demi-siècle – ait eu l’outrecuidance de choisir l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, pour y subir une opération chirurgicale (en novembre 2005), puis un bilan postopératoire (en avril 2006). Normal, de la part d’un nostalgique de l’Algérie française ? Sans doute, mais de nombreux députés UMP, le parti majoritaire, n’ont pas été en reste et ont vigoureusement dénoncé la présence en France de Bouteflika, « fût-ce pour des raisons médicales ».
En quittant Paris le 25 avril, le président algérien adresse un message à son alter ego français. Pour lui demander de transmettre ses remerciements à l’équipe médicale qui l’a soigné et saluer les « valeurs de générosité et d’hospitalité qui caractérisent le peuple français ». Geste d’apaisement ? Pas sûr. Car le ton très diplomatique du message cache difficilement une sourde colère. « L’abjecte utilisation politicienne des soucis de santé du président a provoqué chez lui une grave désillusion à l’égard d’une partie du personnel politique français, confie l’un de ses proches collaborateurs. Son souci de conclure un traité d’amitié avec l’ancienne puissance coloniale était certes dicté par des impératifs stratégiques, mais, en tant qu’acteur de la guerre de libération, il avait fait de l’assainissement des relations entre les deux pays un objectif personnel. Le partenaire a fait défaut. »
C’est sans doute la raison pour laquelle les multiples messages du genre « il faut que nous nous voyions le plus rapidement possible » adressés par Chirac à Bouteflika – le premier date de novembre 2005, à la veille du Sommet euro-méditerranéen – sont restés lettre morte. Aucune rencontre entre les deux hommes n’a eu lieu depuis la promulgation de la loi sur les aspects « positifs » de la colonisation. Bouteflika a pourtant passé trois semaines de convalescence en France en novembre 2005. Et il a prolongé son séjour de soixante-douze heures lors du bilan de santé qu’il a subi, le mois denier. La question se pose donc : boude-t-il Chirac ? S’il ne va pas jusqu’à imputer à son homologue français la responsabilité du « coup de poignard dans le dos », il semble bien avoir fait une croix sur le traité d’amitié avec la France. De toutes ses promesses électorales, c’est peut-être la seule qu’il ne sera pas en mesure de tenir. « C’est un échec, reconnaît le collaborateur déjà cité, mais il ne peut être imputé ni à Boutef ni à Chirac. »
L’Histoire étant ce qu’elle est, les relations algéro-françaises sont forcément complexes, ambiguës. Les positions des deux pays sur la plupart des grandes questions internationales sont assez largement convergentes. La seule vraie pomme de discorde, c’est le Sahara occidental. Lors du dernier débat que le Conseil de sécurité des Nations unies a consacré à ce dossier, le représentant français s’est ainsi démené pour amputer la résolution adoptée de toute référence à la répression marocaine contre les militants indépendantistes. Officiellement, les Algériens n’ont fait aucun commentaire, mais ils n’en pensent pas moins.
Il n’en reste pas moins que, traité d’amitié ou pas, les relations algéro-françaises sont globalement loin d’être catastrophiques, comme en témoigne le récent séjour algérois (3-5 mai) de Laurence Parisot, la présidente du Medef, le « syndicat » patronal (voir « Coulisses » p. 88). Même si, pour l’instant, ce sont les Chinois, les Espagnols, les Américains et les Émiratis qui décrochent les plus gros contrats, Parisot a sans nul doute pris conscience de l’importance du marché algérien
Autre volet intéressant les relations entre les deux pays : la coopération militaire. Longtemps boudée par les marchands d’armes français, l’Algérie est redevenue un client potentiel qu’il convient de « bichonner ». Le général Gaïd Salah, chef d’état-major, vient ainsi de répondre à l’invitation de son homologue français, le général Henri Bentegeat, qui a déroulé pour lui le tapis rouge. Au programme : rencontre avec Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Défense, et visite des installations de Giat industries. Si une livraison de Rafale paraît exclue, l’aviation algérienne étant largement d’origine russe, une vente de chars Leclerc est tout à fait envisageable. Les politiques peuvent bien bouder, les affaires sont les affaires

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