Le viol selon Zuma
Au lendemain du procès pour abus sexuel de l’ex-vice-président, le pays s’est réveillé avec la gueule de bois.
Pour Jacob Zuma, figure charismatique de la lutte pour la libération, les douze mois qui viennent de s’écouler n’ont été qu’une avalanche de chocs : il a été limogé de la vice-présidence, écarté de la succession de Thabo Mbeki, inculpé de corruption et, dernièrement, accusé d’avoir violé une amie de la famille. Mais il ne s’est pas privé de répliquer, et c’est au tour de ses plus ardents détracteurs d’être choqués.
Quand il s’est exprimé au début d’avril devant la Cour suprême de Johannesburg pour répondre aux accusations de viol qui pèsent sur lui [le verdict était attendu le 8 mai], Zuma s’est fait l’avocat d’une culture zouloue qui donne tous les droits et les devoirs aux hommes. Si celle qui l’a poursuivi devant le tribunal pour viol portait une jupe courte et se tenait, chez lui, les jambes croisées, le soir de leur relation sexuelle, c’était pour exprimer son désir envers lui, a expliqué l’ancien numéro deux du pays. « Dans la culture zouloue, vous ne pouvez pas vous refuser à une femme si elle est prête », a-t-il expliqué, ajoutant qu’éviter d’assouvir son désir aurait été tout aussi grave que de la violer.
De tels arguments, présentés pendant ce long procès, ont secoué les Sud-Africains. Ils ne reprochent pas tant à leur ancien leader d’avoir orienté sa défense autour du caractère consentant de la relation sexuelle que de s’être obstiné à la fonder sur les traditions sexuelles des Africains et leurs relations aux femmes.
En Afrique du Sud, la coexistence entre des cultures vieilles de plusieurs siècles et les conceptions juridiques européennes n’a jamais été aisée ni clairement débattue. En réaction à la violence de l’apartheid, les fondateurs de la nation ont rédigé l’une des Constitutions les plus éclairées du monde, fondée sur l’égalité absolue des droits. Mais le soutien du peuple à cet idéal doit encore passer le test du feu, celui posé par le sort qu’il réservera à Zuma. « Il ne faut pas croire que les arguments présentés par Zuma ne parlent pas aux gens. Au contraire, ils y sont très réceptifs ».
Avant juin 2005, quand il a été limogé, Zuma était un politicien talentueux. Il représentait d’ailleurs une alternative à la politique libérale de Thabo Mbeki, qui a certes donné un coup d’accélérateur à l’économie du pays, mais a aussi ébranlé la coalition gouvernementale, en s’aliénant les syndicats et le Parti communiste.
La gauche avait remis ses espoirs entre les mains de Zuma. Mais, pris dans le tourbillon des scandales, ce dernier s’est d’abord tourné vers ses fidèles au KwaZulu Natal, délaissant un peu les militants de gauche. Devant la Cour, il s’est exprimé en zoulou, au lieu d’utiliser la langue d’usage des tribunaux, l’anglais – qu’il maîtrise parfaitement. Dehors, ses partisans brûlaient l’effigie de la plaignante et portaient des tee-shirts proclamant : « 100 % Zoulou ».
Personne ne peut contester à Zuma son héritage ethnique. Fils d’un chef proche du roi, il n’en représente pas moins la nouvelle Afrique du Sud. Après l’arrivée au pouvoir du parti, il apparaissait même comme le plus apte à diriger la nation. En un an, son avenir politique semble s’être écroulé.
La vérité sur cette dernière histoire demeure obscure. Mais, même si le juge estime que la jeune femme était consentante, Zuma est coupable de n’avoir pas jugé nécessaire d’utiliser un préservatif, bien qu’au fait de la séropositivité de la jeune femme. Il a expliqué au juge qu’il avait pris soin de se doucher immédiatement après la relation sexuelle pour minimiser ses chances de contracter le virus. Ces déclarations irresponsables dans la bouche d’un ancien dirigeant ont abasourdi les experts, qui luttent contre la pandémie. Derrière eux, une partie de la population s’agace de l’insistance de Zuma à recourir aux valeurs traditionnelles pour justifier son comportement. « Les gens ne veulent pas de ce genre de dirigeant », explique Nomboniso Gasa, spécialiste des questions de parité pour le parti. « Il a brisé toutes les lois socioculturelles. » Elle reconnaît pourtant que plusieurs franges de la société, encore sous l’emprise d’une tradition patriarcale, continuent de le soutenir malgré les lois et une Constitution égalitaire.
Ses partisans seront-ils assez nombreux pour le sauver d’une mort politique ? Rien n’est moins sûr. Les rangs de l’ANC sont remplis de femmes influentes, à commencer par Phumzile Mlambo-Ngcuka, qui a succédé à Zuma. Penser que ces militantes, bien qu’africaines, sont réceptives aux arguments de Zuma « est un contre-sens total », estime un spécialiste de la politique au KwaZulu Natal. « À quel point l’ANC voudra-t-il, à l’avenir, défendre certaines valeurs ancestrales parfois opposées à son idéal d’égalité ? C’est l’une des énigmes de la vie politique aujourd’hui. »
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