Le temps des « égaux »

La première visite à Paris d’un Premier ministre tunisien marque un tournant dans les relations entre les deux pays.

Publié le 9 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

L
a visite officielle que Mohamed Ghannouchi a faite à Paris du 3 au 5 mai était la première d’un Premier ministre tunisien depuis l’indépendance du pays, en 1956. Alors, en dépit de la tourmente politique qui balaie actuellement la France (voir pp. 19-22), les autorités des deux pays n’ont lésiné ni sur leur temps ni sur les moyens. Le chef du gouvernement était accompagné d’une importante délégation comprenant notamment quatre ministres : Mohamed Nouri Jouini (Développement et Coopération internationale), Afif Chelbi (Industrie, Énergie et PME), Taïeb Hadhri (Recherche scientifique, Technologie et Développement des compétences) et Hatem Ben Salem (Affaires européennes). Mais aussi une vingtaine de chefs d’entreprise, dont Hédi Djilani (président du patronat et homme d’affaires), Leyla Khaïat (Femmes chefs d’entreprise) et Foued Lakhoua (Chambre tuniso-française).
Ce débarquement en force n’est pas le fruit du hasard. Pour la première fois depuis un demi-siècle, la balance commerciale entre les deux pays est favorable à la Tunisie : 2 757 millions d’euros, d’un côté, 2 591 millions, de l’autre. Cet excédent de 166 millions ne s’explique pas uniquement par les ventes d’hydrocarbures et de biens agricoles, mais aussi par les exportations de produits industriels finis : prêt-à-porter, composants électroniques, équipements automobiles et même matériel électroménager.
Pour accueillir ses partenaires ragaillardis par leur performance, la France n’a rien négligé : entretien de plus d’une heure, à l’Élysée, avec le président Jacques Chirac, séance de travail et déjeuner à Matignon avec Dominique de Villepin, signature d’accords de coopération à Bercy, rencontre avec les patrons français : Laurence Parisot, présidente du Medef ; Jean Burelle, le président du Medef International ; Éric Hayat du comité Tunisie. Tout cela, bien, sûr, en présence des ambassadeurs des deux pays, Raouf Najar et Serge Degallaix.
Après avoir rappelé l’importance de la coopération bilatérale, Ghannouchi a indiqué que son pays souhaite désormais entretenir avec son partenaire des rapports d’égal à égal. Ou win-win (« gagnant-gagnant ») comme l’on dit aujourd’hui. « Nous sommes solidaires. Si la France perd de la compétitivité, nous en perdrons aussi. Nous ne voulons plus des entreprises qui se délocalisent, mais de celles qui investissent dans l’intérêt des deux pays. Nous ne venons pas prendre des emplois en France pour les transférer en Tunisie, nous voulons en créer en Tunisie et en France », a déclaré le chef du gouvernement, au siège du Medef.
Hédi Djilani, le président du patronat, a pour sa part salué, c’était de circonstance, « le tandem franco-tunisien créateur de richesses et d’emplois », mais en n’omettant pas une utile mise en garde : « Attention, si nous ne créons pas, ensemble, l’espace économique Euromed, nous paierons, ensemble, la note face aux blocs asiatique et américain. » Cela signifie que l’Europe devrait regarder à la fois vers l’Est et vers le Sud afin de créer un marché unique d’un milliard de consommateurs.
Pour Éric Hayat, la Tunisie n’est plus seulement « le pays du jasmin et du textile », mais aussi celui de l’intelligence et de l’électronique. « Le pays change tous les jours, mais son image, elle, reste identique », a-t-il déploré. C’est à cause de cette image obstinément influencée par le tourisme que, par exemple, il ne viendrait pas à l’idée d’un investisseur anglo-saxon de créer une entreprise de logiciels en Tunisie.
« J’ai senti le président et le Premier ministre français déterminés à amplifier notre relation, à un moment où la Tunisie lance de grands projets et se tourne vers des secteurs d’activité à haute valeur ajoutée », a déclaré Ghannouchi. « Nos entretiens ont été confiants, fructueux et orientés vers l’avenir », a répondu Villepin. Quant à Chirac, il a salué « les relations exemplaires entre les deux pays », confirmant au passage le soutien de la France à la politique de réforme économique conduite par le président Ben Ali et à ses « nécessaires prolongements dans les domaines des droits de l’homme et de l’État de droit ». ¦

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