Le grand bond

6,4 millions de visiteurs attendus cette année, 10 millions espérés en 2010. Le secteur recueille les fruits d’une politique volontariste.

Publié le 5 mai 2006 Lecture : 6 minutes.

L’année 2007 sera celle du « Big Bang » pour le tourisme marocain. C’est en effet en mars prochain que commenceront à se faire sentir les effets du plan Azur, initié en 2002 par les autorités, et qui se traduira par la création de six « stations touristiques intégrées » sur la façade littorale du pays. Le premier hôtel de la zone de Saïdia devrait ouvrir ses portes au printemps prochain. Située sur la côte méditerranéenne, entre Nador et Oujda, cette station haut de gamme devrait redynamiser la province de l’Oriental, économiquement asphyxiée par la fermeture de la frontière terrestre avec l’Algérie en 1994. Les Marocains ont vu les choses en grand : d’une capacité de 29 000 lits, dont 17 000 lits hôteliers, le site de Saïdia possédera trois golfs de 18 trous chacun, une marina de 700 anneaux, destinée, en priorité, aux plaisanciers espagnols, 29 hôtels, des commerces, un centre d’artisanat, un centre sportif et une promenade de bord de mer de 6 kilomètres. Réalisé en deux phases, le projet représente un investissement total de 9,5 milliards de dirhams (860 millions d’euros) et sera entièrement achevé en 2010.
2010, c’est justement le cap que s’étaient fixé les responsables du secteur pour franchir le seuil magique de 10 millions de touristes. Ils concèdent aujourd’hui, du bout des lèvres, que le pari ne sera probablement pas tenu dans les délais et parlent maintenant d’y parvenir en 2012. Bien que légèrement réaménagée, la « Vision 2010 », esquissée par Mohammed VI en janvier 2001, et conceptualisée l’année suivante par les autorités et la fédération patronale du secteur, reste la pierre angulaire de la nouvelle politique touristique du royaume. Une politique volontariste, originale et intelligente qu’Adil Douiri est chargé de mettre en musique. Ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale, cet ingénieur de 43 ans, affilié à l’Istiqlal, est diplômé de l’École des ponts et chaussées de Paris. Rompu à la haute finance, il a participé, à 29 ans, à la création de CFG, la première banque d’affaires marocaine. Sous sa houlette, le Maroc accueillera cette année 6,4 millions de visiteurs, contre 5,8 millions en 2005. Son secteur est devenu le premier pourvoyeur en devises du pays. Le nombre des nuitées croît de 15 % par an, et le taux d’occupation à Agadir et Marrakech, deux villes qui totalisent les deux tiers des nuitées, oscille entre 60 % et 70 %.
« Tout au long des années 1990, le Maroc a vécu sur ses acquis – le circuit des villes impériales – et négligé le balnéaire, alors qu’il possède plus de 3 000 kilomètres de côtes, explique Douiri. Avec environ 2 millions de touristes par an, nous étions loin de notre potentiel. Il fallait réagir, et la réponse a été la Vision 2010, qui a été conceptualisée pendant l’âge d’or du tourisme mondial. » Le secteur était alors en pleine expansion et enregistrait des taux de croissance à deux chiffres. C’était avant les attentats du 11 septembre 2001 Il y a cinq ans, les attaques terroristes de New York et Washington et la guerre d’Afghanistan provoquent un brutal retournement de cycle. Le Maroc connaît une mauvaise année 2002. Mais le pire est encore à venir. 2003, avec la conjugaison de l’invasion de l’Irak, en mars, et des attentats du 16 mai, à Casablanca, se transforme en annus horribilis pour le tourisme. Heureusement, opérateurs et investisseurs se sont tout de même laissé séduire par Vision 2010.
Au-delà des aléas conjoncturels, le Maroc possède des attraits évidents : la beauté des sites et des plages, la richesse de son histoire, une identité marquée, une gastronomie savoureuse, le goût de l’hospitalité, la stabilité politique. Il a la chance d’être situé à une quinzaine de kilomètres de l’Espagne, dont le marché intérieur est maintenant saturé. Que des groupes espagnols, à l’instar de Fadesa, l’aménageur du site de Saïdia, aient envie de se tourner vers le Maroc pour y développer leurs activités est dans l’ordre des choses. Encore fallait-il leur offrir des conditions propices. En termes de fiscalité, d’infrastructures d’accueil, mais également d’infrastructures tout court – autoroutes, voies ferrées – et de liaisons aériennes.
« La clé de voûte de la réussite de Vision 2010 a été la libéralisation du trafic aérien, résume Adil Douiri. En gros, il fallait que le nombre de sièges offerts dans les avions soit en adéquation avec le nombre de lits dans les hôtels. L’un ne va pas sans l’autre. » Le grand tournant a été négocié en 2004. Le pavillon national, Royal Air Maroc (RAM), qui avait beaucoup à perdre avec l’ouverture à la concurrence, a opéré une mue spectaculaire : multiplication des lignes internationales, ajustement de sa politique tarifaire et marketing, développement de son réseau africain, via son hub de Casablanca, et, enfin, lancement d’une compagnie low cost, Atlas Blue, aujourd’hui bien installée dans le paysage aérien chérifien. Onze nouvelles compagnies ont intégré le ciel marocain rien qu’en 2004, dont Corsair, SN Brussels ou Virgin Express. Un mouvement qui va s’amplifier après la signature de l’accord d’open sky avec l’Union européenne, le 14 décembre 2005, l’étape ultime de la fusion des espaces aériens. EasyJet, la low cost britannique, proposera un vol quotidien Londres-Marrakech à 37,99 euros l’aller simple en juillet 2006. Karim Ghellab, le ministre de l’Équipement et des Transports, l’autre artisan de cette révolution culturelle, a fait ses comptes : « En 2003, nous avons enregistré un flux de 5,8 millions de passagers pour 600 rotations aériennes hebdomadaires. Pour tenir l’objectif de 10 millions de touristes en 2010, il faudra que nous arrivions à 15,6 millions de passagers transportés, pour 1 300 rotations hebdomadaires. Mais le plus dur commence. Une centaine de nouvelles dessertes doivent être créées chaque année au cours des cinq prochaines années. » Signe encourageant : la première low cost privée basée au Maroc, Jet4You, entrera bientôt en service.
La réalisation du plan Azur et la création des six nouveaux pôles de développement balnéaire, à Mogador, Lixus, Mazagan, Saïdia, Taghazout et Plage-Blanche (voir éclairage), devraient stimuler la croissance de l’offre aérienne. Dans chacun de ces sites, c’est le Fonds Hassan-II, alimenté par les recettes des privatisations, qui a pris en charge la construction des routes menant aux aéroports, ainsi que le raccordement aux réseaux hydraulique et électrique nationaux. Des investissements lourds mais dérisoires au regard de l’apport des privés à qui les centaines d’hectares des nouvelles zones touristiques ont été concédées pour être viabilisées et revendues, en parcelles, à des groupes hôteliers. Des investisseurs marocains, français, espagnols, belges, néerlandais, sud-africains ou émiratis ont répondu à l’appel. « Ce type de partenariat public-privé est particulièrement fécond, explique Adil Douiri. À titre d’exemple, un investissement public de 30 millions d’euros du Fonds Hassan-II engendre in fine un investissement privé de près de 500 millions d’euros. » Au total, selon ses promoteurs, le plan Azur devrait permettre de créer 600 000 emplois directs
« L’essor du tourisme est indéniable. Il est même flagrant dans une ville comme Marrakech, la destination la plus prisée des Français et des Occidentaux. Mais on ne commence que maintenant à parler de l’envers du décor : la prostitution et la pédophilie. Il ne faudrait pas que le Maroc devienne une destination de tourisme sexuel », s’inquiète une journaliste qui a réalisé plusieurs reportages sur la question. La mobilisation des associations de quartier, à Marrakech, et l’écho donné, par les médias à des scandales retentissants ont aidé à une prise de conscience. Les choses bougent enfin. La police a reçu pour instruction de pratiquer « la tolérance zéro » et s’est engagée dans une guerre sans merci contre les réseaux pédophiles. « Les délinquants sexuels doivent savoir qu’ils n’ont rien à faire au Maroc », conclut Adil Douiri.

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