John Kenneth Galbraith, économiste rebelle

Disparu à l’âge de 97 ans, le pourfendeur américain le plus célèbre du capitalisme sauvage laisse une uvre aussi caustique que limpide.

Publié le 5 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

John Kenneth Galbraith, mort à l’âge de 97 ans le 29 avril à Cambridge (Massachusetts, États-Unis), était l’économiste américain le plus connu en Europe, le plus critique à l’égard de l’économie de marché, et le plus « libéral », ce qui veut dire, outre-Atlantique, à gauche.
Il naît en 1908 dans la province canadienne de l’Ontario. D’origine écossaise, son père est un agriculteur intello qui l’emmène dans les réunions publiques où il pourfend les programmes des conservateurs. Le jeune John en gardera toute sa vie un goût pour la politique, en dépit des études supérieures qui le conduisent à l’université de Californie, où il décroche un doctorat d’économie agricole, puis à Princeton, où il devient enseignant, et enfin à Harvard, dont il devient une célébrité à partir de 1934. Parallèlement à cette carrière universitaire, il travaille pour l’administration après sa naturalisation américaine, en 1937, d’abord dans le contrôle des prix mis en place durant la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il ne peut prendre part comme combattant, car il est réformé en raison de sa trop grande taille : 2,03 m.
Il fait partie des compagnons de route du Parti démocrate, conseille Roosevelt et surtout l’un de ses anciens élèves, John Fitzgerald Kennedy, qui l’envoie comme ambassadeur en Inde de 1961 à 1963 ; il n’est pas un diplomate hors pair, mais tombe sous le charme de l’art indien et prend parti pour l’Inde dans le conflit frontalier qui l’oppose à la Chine. Il rédige le programme de « la Grande Société » chère au président Johnson, mais se brouille avec lui en raison de sa politique belliqueuse au Vietnam. Il conseille à nouveau un président démocrate, Bill Clinton, dans les années 1990.
Mais c’est par sa plume que Galbraith se fait connaître. Dans des revues comme Fortune, et surtout dans ses livres, il prend à contre-pied un certain nombre d’idées reçues et détecte le premier les évolutions économiques et sociétales de l’après-guerre. Ses deux ouvrages les plus célèbres sont La Grande Crise de 1929 (1955) et L’Ère de l’opulence (1958), mais aucun des trente-sept livres écrits dans sa ferme « non agricole » ne laisse indifférent, et surtout pas son dernier, Les Mensonges de l’économie (2004), où il persiste dans cette causticité et cette limpidité qui rendent aisée la lecture de l’économie, souvent qualifiée de « science lugubre ».
Avec lui, pas de danger de s’ennuyer ! Il moque les prévisionnistes qui ont prédit « douze crises économiques sur les huit qui se sont effectivement produites ». Ce qui ne l’a pas empêché de succomber à la tentation et à l’erreur Il clame que la Réserve fédérale américaine est inutile et que son président d’alors, Alan Greenspan, n’est pas le magicien monétaire encensé par la presse. Il dénonce l’appellation « économie de marché », expression « creuse, fausse, insipide et mièvre [] née du désir de se protéger du passé : le bilan peu reluisant du pouvoir des capitalistes ».
Car Galbraith est rebelle au système américain. Certes, il n’est pas pour le collectivisme, mais il estime que le développement de la société de consommation conduit inévitablement à réduire à zéro un certain nombre de valeurs : « Vous pique-niquerez avec des produits impeccablement emballés et une glacière dernier cri, mais dans un parc où rôdent des menaces pour la sécurité physique et morale. » Estimant que les producteurs manipulent les consommateurs en créant des produits inutiles, il plaide pour que l’intervention de l’État serve à maintenir des services publics sans lesquels il n’existe pas de vie en société. Keynésien, il veut que le budget de l’État soit en excédent en cas de croissance et en déficit quand survient la récession.
Il démontre que le « management » des entreprises n’est qu’une variante plus sexy de la bureaucratie publique, et il est le premier à utiliser le mot de « technostructure ». Il hait le complexe militaro-industriel pour son « incompétence » et sa dangerosité. Surtout, il se fait le défenseur inlassable des pauvres et des chômeurs, à l’Est comme à l’Ouest. Autant dire qu’il n’aime ni Reagan, ni Margaret Thatcher, et encore moins les Bush père et fils, et que les militants pour un développement durable garderont longtemps ses brûlots sur leur table de chevet. n

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