Jean-François Revel

L’intellectuel français est décédé le 30 avril à Paris.

Publié le 9 mai 2006 Lecture : 3 minutes.

Serviette autour du cou, verre en main, massif et carré sur son siège comme s’il allait devoir faire front à un assaut, il m’attendait déjà – on le disait d’une exactitude « pathologique » – au Grizzli, un restaurant parisien du quartier des Halles, lors de notre premier rendez-vous, au milieu des années 1980. Avait-il choisi cette enseigne, à l’image d’un ours d’Amérique réputé pour sa puissance et la vivacité de ses coups de griffe, pour nous mettre dans l’ambiance du dialogue socratique, façon Revel ? Plus d’un, aujourd’hui, en porte encore les traces

Victime, le dimanche 30 avril, d’un accident cardiaque, Jean-François Revel (né Ricard en 1924, à Marseille) n’avait en effet guère coutume de dissimuler ses convictions. Et celles-ci l’ont plus souvent fait ruer dans les brancards qu’épouser les consensus majoritaires. « Franc-Parler », le titre de ses chroniques hebdomadaires dans « J.A. », au tournant du siècle, lui allait comme un gant.
Élève des jésuites, Revel n’en privilégia pas moins un cartésianisme scientifique de sa préparation tout en manifestant une véritable répulsion à l’égard des cultes. Des décennies plus tard (en 1997), cet agnostique devait s’aventurer jusqu’à se confronter à son propre fils, Matthieu, un biologiste inspiré par le bouddhisme tibétain, pour le plus grand intérêt des lecteurs du Moine et le philosophe, un livre à deux voix, véritable exploit d’écoute mutuelle, d’un humanisme l’autre.

la suite après cette publicité

Khâgneux tôt engagé dans la Résistance puis agrégé de philosophie, Revel était encore enseignant – d’où le choix de ce pseudonyme, un nom de guerre emprunté au restaurant où il avait alors ses habitudes – quand il publia, en 1957, un premier pamphlet virulent, Pourquoi des philosophes ?, qui dénonçait la fumisterie des professeurs, ses collègues, aveuglés par les « superstitions idéologiques » du structuralisme et de la psychanalyse.
Français jusqu’au bout de la langue – celle du gourmet, auteur d’une histoire littéraire gastronomique, Un festin en paroles, et celle de l’amateur de poésie qui nous fit savourer sa monumentale Anthologie de la poésie française -, Revel s’exila en Algérie, au Mexique et en Italie, avant de conserver, aux antipodes d’un nationalisme étroit, avec Luis Buñuel, Octavio Paz et Mario Vargas Llosa, des relations d’amitié tout sauf provinciales.
Homme de gauche, proche de François Mitterrand et candidat malheureux, dans les années 1960, sous l’étiquette FGDS, contre les gaullistes dont l’exaspéraient l’emphase chauvine et les courbettes devant le « grand homme », Revel n’en devint pas moins, avec Ni Marx ni Jésus, La Tentation totalitaire, La Grande Parade et, plus récemment, en 2002, L’Obsession antiaméricaine, le chantre d’une Amérique qu’il louait comme le laboratoire de la mondialisation libérale – « globalement positive, puisque l’ensemble des pays pauvres est aujourd’hui moins pauvre qu’il y a un demi-siècle » -, au risque de devenir l’icône des plus réactionnaires.

Immensément cultivé, éditeur de la célèbre collection « Libertés » chez Jean-Jacques Pauvert, auteur de dizaines d’ouvrages largement diffusés et traduits dans le monde entier, élu en 1997 à l’Académie française, bref, incarnant en quelque sorte le paroxysme de l’intellectuel, ce rebelle installé n’a cependant jamais cessé de dénoncer ses pairs pour leur « charabia » et leur capacité à « embrouiller la leçon des faits », balayant les honneurs qui lui étaient adressés comme poussières sur les revers de son habit.
Revel choisit de mettre sa plume au service de son action, largement mobilisée par un anticommunisme obsessionnel qui ne devait s’apaiser qu’à la chute du Mur. Journaliste à France-Observateur, éditorialiste puis directeur de L’Express en 1978, Revel ne mit pas trois ans avant de claquer la porte au nez de son « repreneur », Jimmy Goldsmith, qui avait eu le tort de licencier Olivier Todd, son collaborateur et ami. Raymond Aron, alors président du comité directeur du magazine, s’abstint, pour sa part, de manifester aussi nettement sa solidarité, laissant Revel transporter seul au Point ses chroniques
À la proue de l’île de la Cité, si on lève les yeux vers la façade d’un bel immeuble du quai de Bourbon, on voit une fenêtre désormais éteinte, celle du bureau de Jean-François Revel. Une de plus, pour un peu moins de lumière…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires