Tunisie : pourquoi l’Europe sort le carton jaune
Le Parlement européen a adopté le 21 octobre une résolution faisant état de reculs démocratiques préoccupants en Tunisie.
Dix ans de remue-ménage institutionnel et économique improductif ont tari la sympathie de la scène internationale à l’égard du seul pays du monde arabe qui s’était engagé dans un processus démocratique pacifique après 2011.
Dans la foulée des positions qu’a prises le Congrès américain à la mi-octobre, l’Union européenne exhibe à son tour un carton jaune et enjoint la Tunisie de se remettre sur les rails institutionnels.
Une résolution proposée au Parlement européen déclarant la préoccupation des députés face au « grave défi auquel est confrontée la transition démocratique en Tunisie » a été adoptée le 21 octobre par 534 voix sur 685.
En vertu de cette résolution, l’institution « appelle le président tunisien à rétablir les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple [ARP] et à garantir l’état de droit ».
Cette demande n’est pas nouvelle. Depuis le 25 juillet, elle a été formulée à diverses reprises aussi bien par des sénateurs et des représentants de l’administration américaine que par Josep Borell, haut-représentant pour les relations extérieures et la politique de sécurité de l’Union européenne.
Tous jugent essentiel de préserver l’acquis démocratique, de respecter la séparation des pouvoirs et de rétablir l’ordre institutionnel. Mais Carthage, ou plutôt Kaïs Saïed, semble insensible à ces alarmes : ce dernier estime, comme la majorité des Tunisiens, qu’il a mis fin à une ère de corruption menaçant l’État et la société de délitement.
Remise en marche des institutions
L’Union européenne, qui constate que la nomination d’un nouveau gouvernement est « un premier pas positif », semble être au diapason des États-Unis. La résolution adoptée se lit comme une liste des objectifs que l’UE avait soutenus en Tunisie et qui n’ont pas été atteints.
Tout soutien financier doit être accompagné du rétablissement des travaux de l’ARP
Cette compilation d’essais non transformés par la révolution tunisienne se déploie dans tous les champs où est intervenue l’UE auprès de la Tunisie : droits humains, décriminalisation de l’homosexualité, questions de genre, finances publiques et réformes institutionnelles.
Aucun chapitre n’est négligé par Bruxelles, qui réitère néanmoins son soutien à la Tunisie à condition d’un retour au processus démocratique et d’une reprise des travaux de l’Assemblée.
Les Européens n’exigent pas de réactiver physiquement la législature qui a été gelée le 25 juillet, mais poussent à préserver les institutions et à respecter la Constitution, qui peut être amendée mais qui doit conserver sa suprématie, notamment sur les décrets présidentiels.
Dans cette perspective, l’UE encourage une démarche inclusive sous forme de dialogue national qui impliquerait les organisations nationales, les partenaires sociaux et la société civile.
Ce passage en revue conduit Bruxelles à souligner que « tout soutien financier à la Tunisie doit être accompagné du rétablissement des travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et du respect de l’état de droit et des droits civils et humains ».
L’UE menace, avec diplomatie, d’un tour de vis financier, tout comme les États-Unis ont conditionné leur aide militaire à la remise en marche des institutions démocratiques et à l’évaluation du degré d’implication de l’armée tunisienne dans la volte-face du 25 juillet à l’égard de la démocratie.
Accusation d’ingérence
« L’UE assortit l’avancée des droits à plus d’aide. En ce sens, la Tunisie a failli à ses engagements. Il faut retenir que Bruxelles n’est pas opposé aux réformes, et convient des limites du système politique choisi en 2014, évitant ainsi d’être accusé, en interne, de soutenir les islamistes », commente Karim Bouzouita, expert en communication politique.
L’opinion estime que de telles initiatives d’institutions étrangères constituent une ingérence
La position des Européens coïncide avec celle de Washington mais aussi avec la panne des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
L’étau financier se resserre au point que les autorités tunisiennes envisagent, selon Abdelkrim Lassoued, directeur général du financement et des paiements extérieurs de la Banque centrale de Tunisie (BCT), de solliciter l’aide de l’Algérie alors que des discussions sont en cours avec l’Arabie saoudite. Il n’est pas sûr toutefois que le royaume passe outre la fermeté américaine et européenne.
Le politologue Slaheddine Jourchi conseille de ne pas « négliger les avis internationaux et d’entamer un vaste dialogue interne pour réorganiser les relations avec les partenaires, y compris les institutions internationales ».
Mais l’opinion publique renâcle. Elle estime que de telles initiatives d’institutions étrangères constituent une ingérence dans les affaires du pays et une atteinte à la souveraineté nationale. Si, en principe, la Tunisie est libre de ses choix, son économie est aussi plombée par sa dette extérieure.
La résolution doit être transmise « au gouvernement de la République tunisienne et au président de l’Assemblée des représentants du peuple tunisien », précise le texte des députés. Nulle mention de la présidence, donc.
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