Banalisation du Mauritanien

Publié le 9 mai 2006 Lecture : 2 minutes.

En examinant un tableau de l’évolution démographique de la planète, on s’aperçoit avec consternation que les Mauritaniens, peuple fier et de haute bravoure, seront sept millions en l’an 2020. Or l’intérêt du Mauritanien tient justement au fait qu’il est relativement rare, comme l’oryx ou le loup blanc. En devenant sept millions, il se banalise. Je me souviens d’une rencontre fortuite, il y a vingt ans, à Oslo, avec un jeune homme natif de Nouadhibou, rencontre qui me charma au point que je l’invitai à dîner. Il s’agissait de mieux connaître une espèce d’homme peu commune : 0,03 % d’Homo sapiens. Je le dévorai littéralement des yeux, au point qu’un soupçon d’inquiétude embruma son beau regard d’habitant des déserts. L’impression qu’il m’en reste est à peu près celle de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours polaire.

Le grand reporter Paul Balta me raconta un jour une scène étonnante. Dans les années 1970, il alla interviewer le président d’alors, Mokhtar Ould Daddah. À la descente de l’avion, à Nouakchott, il prit un taxi qui roula quelques minutes puis s’arrêta pas loin d’une belle bâtisse ; après quoi le taximan lui désigna d’un index désinvolte un bonhomme assis à l’ombre de la véranda. C’était le président de la République de Mauritanie. Balta alla sans façons tailler une bavette avec Son Excellence. Heureux temps où le Mauritanien était si peu nombreux qu’on n’avait nul besoin de tenir la foule à distance. C’est bien simple, de foule il n’y avait point et tout le monde connaissait tout le monde. La démocratie consistait à consulter son cousin et deux ou trois autres bonshommes, on avait fait le tour du peuple souverain et on allait boire ensemble un thé brûlant et sucré d’abondance. C’était l’Âge d’or.

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Aujourd’hui, on rencontre avec effarement des Mauritaniens sortis de Polytechnique, des qui ont des MBA de Stanford ou de Columbia, d’autres qui conduisent des 4×4 dans les dunes, des qui tiennent des cybercafés et même, hélas, des Mauritaniens en prison pour corruption. Tout se brouille, tout se banalise, ces gens commencent à ressembler à tout le monde. Et quand ils seront sept millions, ce sera encore pire. On rencontrera des Mauritaniens au Louvre, bousculant les Japonais pour mieux voir la Joconde, et McDonald’s proposera à Nouakchott des hamburgers à base de viande de chamelle. Hélas, trois fois hélas !
Ce qu’on dit des compatriotes de Ould Daddah peut se dire également des Numidiens ou des Béninois. Faut-il vraiment devenir des millions ? Messieurs, avant de procréer plus que de raison, pensons à cette loi d’airain de l’économie, que c’est la rareté qui fait le prix

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