Afrique du Sud : Ace Magashule, l’âme damnée de Jacob Zuma

Poursuivi pour corruption, le secrétaire général de l’ANC sera devant la justice à partir du 3 novembre. Comme l’ancien président Jacob Zuma, il dénonce une conspiration ourdie par le chef de l’État.

Ace Magashule au sein de la Cour des magistrats de Bloemfontein, le 13 novembre 2020 © REUTERS/Siphiwe Sibeko

Ace Magashule au sein de la Cour des magistrats de Bloemfontein, le 13 novembre 2020 © REUTERS/Siphiwe Sibeko

Publié le 22 octobre 2021 Lecture : 6 minutes.

Ils s’y mettent à plusieurs pour mettre le feu au t-shirt. On craque des allumettes, on tend des briquets. Le maillot aux couleurs du Congrès national africain (ANC) s’embrase difficilement. Sur fond jaune, le portrait de Cyril Ramaphosa sourit encore quelques instants avant de fondre sous l’ajout de combustibles. Il est incendié par des sympathisants de l’ANC devant la Cour des magistrats de Bloemfontein, capitale du Free State (centre). Nous sommes le 13 novembre 2020 et Ace Magashule, secrétaire général de l’ANC et Premier ministre de la province entre 2009 et 2018, vient de se rendre à la justice. Ses soutiens accusent le président Ramaphosa d’être responsable de sa chute.

L’homme fort du Free State est poursuivi par la justice pour des soupçons de corruption autour d’un contrat irrégulier d’audit de désamiantage en 2014. S’il partage le banc des accusés avec quinze autres personnes (dix individus et cinq entreprises) visées par 70 chefs d’accusations, il conteste toutes les charges qui pèsent sur lui. Mais il fêtera bien ses 62 ans au tribunal, le 3 novembre, pour l’avant-procès de cette affaire.

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Monsieur Dix pour cent

Elias Sekgobelo Magashule voit le jour en 1959 dans le township de Tumahole, à Parys, dans le Free State. S’il est à l’origine surnommé « l’As » pour ses qualités de joueur de foot, l’appellation collera davantage à ses futurs coups politiques. Sous le régime de l’apartheid, il mène une vie de combattant de la liberté aux contours flous. Son passé de militant serait largement exagéré, selon une enquête de Pieter-Louis Myburgh. Ses petits arrangements avec la réalité lui garantissent une belle carrière après la fin de l’apartheid, en 1994, « compte tenu de la propension de l’ANC à récompenser politiquement ses membres en fonction de leur contribution au mouvement de libération », écrit le journaliste dans son livre Gangster State, paru en 2019.

Ace Magashule devient un apparatchik. À partir des années 1990, il prend la tête de la division provinciale de l’ANC et enchaîne les portefeuilles ministériels au sein du gouvernement du Free State. Affaires économiques, Transports, Agriculture, Culture… Ace Magashule obtient des maroquins grâce à son influence dans une province historiquement divisée. Ses diverses nominations comme membre du conseil exécutif (MEC) visent à pacifier ce territoire qui a vu naître l’ANC en 1912. Magashule saisit l’occasion pour mettre la main sur des ressources qu’il détourne à son profit.

Il ne reste plus grand chose de fonctionnel dans le Free State aujourd’hui. Il l’a mis à terre

Devenu Premier ministre en 2009, il étend son contrôle sur les affaires financières de la province. Pieter-Louis Myburgh lui attribue « un sens tyrannique de la centralisation » et le qualifie même de « State Captor » , comme s’il avait kidnappé la province toute entière. Un autre sobriquet apparaît : « Monsieur Dix pour cent », soit la part qu’aurait l’habitude d’empocher Ace Magashule sur chaque contrat public. « Je n’ai jamais pris un centime du gouvernement », se défend-il aujourd’hui.

Ces fuites dans les finances publiques fragilisent la province. « Il l’a mise à terre, fulmine le politologue André Duvenhage, qui en est originaire. Il est responsable de la corruption endémique et de la destruction des structures gouvernementales locales. Il ne reste plus grand chose de fonctionnel dans le Free State aujourd’hui », déplore ce professeur. Un bilan contesté par Ace Magashule. « Avez-vous déjà entendu les communautés se plaindre durant nos mandats ? » répond-t-il aux journalistes qui le cuisinent.

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Un populiste de terrain

L’enfant de Tumahole renvoie toujours au peuple quand il est malmené. « Vous les médias, vous ne me connaissez pas. Allez voir sur le terrain, allez voir les masses, allez dans les églises », intime-t-il aux journalistes, à qui il aime faire la leçon. L’homme est quelque peu impressionnant. Le crâne rasé, l’allure stricte avec des lunettes aux montures rectangulaires et les sourcils qui froncent comme s’il vous grondait. Rien ne brille dans sa garde robe. « Je ne suis qu’un simple et modeste leader », assure-t-il.

Populiste, Ace Magashule sait mieux que personne se servir de la base. Son pouvoir vient des branches de l’ANC, les déclinaisons locales du parti présidentiel. « Si vous contrôlez suffisamment de branches, vous contrôlez une région. Si vous contrôlez assez de régions, vous contrôlez une province. Et si vous contrôlez une province, vous pouvez vous asseoir à la table des grands », relate Pieter-Louis Myburgh. Cette stratégie inspire une comparaison à André Duvenhage. « C’est un homme de terrain comme Zuma et contrairement à Cyril Ramaphosa ou à l’ancien président Thabo Mbeki, qui sont des politiciens de l’élite », analyse-t-il.

Ace Magashule et Jacob Zuma se sont fait la courte-échelle pour atteindre le sommet du pouvoir

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Alignés stratégiquement, Ace Magashule et Jacob Zuma et se font la courte-échelle pour atteindre le sommet du pouvoir à la fin des années 2000. Sous l’influence du premier, le Free State soutient la candidature du second pour la présidentielle. Après son élection, Zuma renvoie l’ascenseur à Magashule et lui offre la direction du Free State. Ace intègre alors la « Premier league », une alliance de premiers ministres soutenant le président.

Théorie du complot

La chute de Zuma en 2018, plombé par les affaires de corruption, fait office de paratonnerre. Épargné par la foudre du scandale, Magashule parvient à se hisser au poste de secrétaire général de l’ANC lors du congrès qui voit Cyril Ramaphosa devenir président du parti. D’un côté, Ramaphosa est élu sur la promesse d’une aube nouvelle débarrassée de la corruption. De l’autre, Magashule, un Zuma boy controversé, représente une faction rivale. La cohabitation fera long feu.

La mise en examen de ce dernier, le 10 novembre 2020, pour corruption, offre un angle d’attaque à ses opposants. En fouillant dans les textes du parti, les caciques de l’ANC déterrent une résolution qui sommeillait en bas de page. « Dirigeants et membres de l’ANC soupçonnés de corruption doivent se mettre en retrait du parti jusqu’à ce que leur nom soit lavé », dit le texte. Magashule tente une diversion. « Pourquoi êtes-vous si pressés de faire appliquer cette résolution alors qu’il y en a tant d’autres qui le sont pas ? »,  improvise-t-il lors d’une interview télévisée. Des atermoiements qui se concluent par son exclusion temporaire prononcée par courrier le 3 mai 2021.

En guise de baroud d’honneur, Ace Magashule contre-attaque avec du papier à lettre et suspend à son tour Cyril Ramaphosa en qualité de président de l’ANC. Un coup d’épée dans l’eau qui illustre la détermination du secrétaire général à défendre son siège et à défier le chef de l’État. Ace engage Dali Mpofu, l’avocat de… Jacob Zuma. En vain. L’affaire échoue devant les tribunaux.

Je peux vous assurer qu’il va repartir au combat, il n’a pas perdu tout espoir de contrôler l’ANC

Les deux vétérans de la politique sud-africaine – 79 ans pour Zuma, bientôt 62 pour Magashule – ont prospéré ensemble avant de tomber en disgrâce sous la présidence de Cyril Ramaphosa. Aujourd’hui ils se serrent les coudes et propagent la même théorie d’une conspiration. « Il est évident que l’objectif est de nous affaiblir, nous, la base de l’ANC. On connaît leur agenda : ils veulent nous éliminer. On a peur de boire un verre d’eau ou un thé de nos jours », affirmait Magashule le soir du 13 novembre 2020.

Malgré sa mise à l’écart du parti, Ace Magashule continue d’appeler à voter ANC pour les élections locales du 1er novembre. Ne surtout pas insulter l’avenir. « Je peux vous assurer qu’il va repartir au combat, il n’a pas perdu tout espoir de contrôler l’ANC », anticipe André Duvenhage. Apparaît déjà sur les affiches de ses sympathisants la date du prochain congrès de l’ANC en décembre 2022. « Je n’ai aucun doute qu’il va mobiliser. Il aura des branches derrière lui, des gens qui vont essayer d’avoir un impact sur la prochaine conférence de l’ANC. Ace applique les mêmes règles que Jacob Zuma : occuper le terrain. »

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