Un Togolais à Paris

Publié le 9 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

C’est une sorte de rituel. Chaque année que Dieu fait depuis plus de trois décennies, le général Gnassingbé Eyadéma franchit le seuil du palais de l’Élysée, s’isole en tête à tête avec l’hôte des lieux, ressort en souriant affronter les journalistes qu’il gratifie
invariablement d’un ou de deux proverbes kabyes de derrière les fagots, s’engouffre dans son véhicule et regagne sa résidence parisienne de l’avenue du Maréchal-Maunoury. Tour à
tour Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et, en ce 2 mars 2004, Jacques Chirac ont accueilli au pied des marches ce président inoxydable. De Jacques Foccart à Michel de Bonnecorse, en passant par Journiac, Kirsch,
Penne, Delaye et Dupuch, les « messieurs Afrique » de l’Élysée passent dans l’ombre de leurs patrons respectifs. Lui reste, aussi indéracinable qu’un baobab.

Venu de Syrte, en Libye, où il a participé au Sommet extraordinaire de l’Union africaine convoqué par Mouammar Kadhafi, le chef de l’État togolais a donc passé la première
semaine de mars à Paris. Nullement troublé par les quelques protestations elles aussi rituelles que sa présence a suscitées du côté de l’opposition radicale (Gilchrist Olympio) et d’une poignée d’ONG (Survie), manifestement en bonne forme physique, n’en déplaise à ceux qui l’ont enterré déjà à moult reprises, Eyadéma était, si l’on peut dire, en terrain conquis. Si, depuis trente-six ans, aucun président français n’a été
son ennemi, Jacques Chirac, lui, est un ami sûr, le seul avec qui le tutoiement est de rigueur, le seul aussi sur lequel le général peut réellement compter pour plaider le dossier du Togo au sein de l’Union européenne.

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Sans autre résultat tangible qu’un appauvrissement généralisé de la population togolaise,
Bruxelles maintient en effet obstinément, depuis plus de dix ans, la République togolaise sous embargo. Officiellement pour « déficit démocratique », diagnostic de moins en moins acceptable tout au moins si l’on compare le Togo à quelques-uns de ses « frères » africains non soumis à ce type de sanctions et qui, en tout état de cause, n’a pas
empêché Eyadéma d’être réélu en juin 2003. Opposé par principe à ce type de « punition », qui, estime-t-il, pénalise les peuples et non les dirigeants, Jacques Chirac a pesé de tout son poids pour qu’elle soit levée. La Commission européenne a fini par lui emboîter le pas en donnant, fin 2003, un avis favorable à l’ouverture de consultations avec le
Togo, en préalable à une reprise de la coopération. Demeurent à convaincre trois partenaires de poids de la France, que l’on sait encore réticents pour des raisons qui n’ont pas toujours grand-chose à voir avec les exigences démocratiques : le Royaume-Uni,
l’Espagne et l’Allemagne.
De cela, Eyadéma s’est évidemment entretenu le 2 mars à l’Élysée, mais aussi de la Côte d’Ivoire, où le contingent togolais passera bientôt sous Casques bleus, l’expertise du président togolais en matière de prévention et de rétention des conflits ayant toujours été appréciée à Paris. Côté français, chacun aura remarqué qu’à ce rendez-vous le général
s’était fait accompagner, outre des ministres Pitang Tchala, Zoumarou Gnonfam et Kokou Tozoun, qui forment le premier carré des fidèles, de son fils Faure Gnassingbé. Titulaire d’un ministère clé, celui des Infrastructures, des Mines, de l’Énergie et des Télécommunications, ce jeune homme discret formé à l’université de Paris-Dauphine et aux États-Unis est un peu à Eyadéma ce que Seif el-Islam est à Kadhafi.

Pour le reste de cette semaine parisienne, le rituel a repris ses droits. Autant dire que, dans son hôtel particulier, le général a beaucoup reçu : Abdou Diouf, l’académicien
Maurice Druon, l’opposant guinéen Alpha Condé, Boutros Boutros-Ghali (dont le prochain recueil de carnets, à paraître chez Fayard, comporte plusieurs passages plutôt laudateurs à l’égard du président togolais), quelques députés européens, des investisseurs potentiels, un ou deux ministres de la République Rituelle enfin, la rencontre conviviale du week-end avec la communauté togolaise de France. Bière chinoise et brochettes de mouton du Niger : ce n’est pas à 67 ans que Gnassingbé Eyadéma va changer de régime.

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