Une étoile sud-africaine

Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans « Monster », Charlize Theron fait la fierté de la « nation arc-en-ciel ».

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

« Theron-nosaurus ! » a osé titrer le quotidien sud-africain The Star pour fêter comme il se doit l’oscar de l’enfant du pays. Pourtant, Charlize Theron, sacrée meilleure actrice lors de la grand-messe annuelle du cinéma américain, le 29 février 2004, n’a rien d’un tyrannosaure ! Bien au contraire. Splendide beauté de 28 ans, la vedette de Monster correspond aux canons les plus courants de la starlette made in Hollywood : jambes interminables, taille élancée, seins aguicheurs qui n’en font pas trop, visage sage, teint satin, cheveux blonds et yeux bleu piscine. Et pour le détail canaille : une petite fleur tatouée sur le pied droit. Mais il ne faut pas se fier à cette façade glamour. Si Charlize s’est coulée avec habileté dans le moule – elle parle un anglais débarrassé d’accent afrikaner – pour parvenir au sommet de la gloire, sa courte histoire réserve bien des surprises.
La première Africaine à recevoir un oscar est née le 7 août 1975 à Benoni, à 35 kilomètres de Johannesburg, au coeur de l’Afrique du Sud blanche et bien nantie. Ses parents, Charles et Gera, possèdent une ferme et une entreprise de transport routier. Toute petite, Charlize remporte déjà des concours de beauté locaux : sa jolie frimousse est irrésistible. À 15 ans, en pleine adolescence, sa vie pourrait pourtant basculer du tout au tout. Une violente dispute éclate au sein du foyer familial. Le ton monte entre ses parents. Charles est alcoolique, brutal. Après les mots viennent les coups. Comme souvent en Afrique du Sud, il y a une arme dans la maison. En état de légitime défense, Gera s’en sert. Et tue son mari. Elle ne sera jamais traduite en justice. Le drame n’a eu qu’un témoin : la petite Charlize. Qui, pendant longtemps, inventera un banal accident de la route pour ne pas avoir à raconter la mort de son père. Et épargner sa mère.
Sa mère. Sans doute la personne qui compte le plus dans l’ascension de la belle Sud-Africaine. « Je suis une fille à maman », confie-t-elle souvent aux journalistes, expliquant ensuite : « Nous avons toujours été amies. Nous devions l’être. Nous étions les seules à pouvoir nous soutenir. Je me sentais comme sa protectrice. » Peut-être. Mais au début, c’est Gera qui nourrit les plus hautes ambitions pour sa fille. Elle lui paie des cours de danse. L’encourage à devenir mannequin – ce qui lui permet de quitter le pays pendant un an pour vivre à Milan (Italie), où elle pose dans des publicités pour Martini. Puis elle rejoint une compagnie de danse de Johannesburg, avant de traverser l’Atlantique. Accueillie par le Joffrey Ballet de New York, elle se rêve un destin de danseuse étoile. Une vilaine blessure au genou va la clouer au sol. Elle a 19 ans. « J’allais assister aux représentations du New York City Ballet, et je pleurais sur ce qui aurait pu être », confiait-elle au Sunday Times. Mais dans les moments difficiles, sa mère est toujours là. Il n’est pas de temps pour les larmes. Elle lui conseille de troquer New York contre Los Angeles, et lui envoie un chèque « pour qu’elle devienne actrice ». Est-ce aussi simple ? Non. Il faut aussi un coup de chance.
Dans la banque où elle souhaite percevoir son argent, le caissier refuse de le lui donner. Charlize se transforme en furie, séduisant au passage le chasseur de talents John Crosby, qui se trouve là par hasard. C’est lui qui l’encourage, lui présente un coach, Ivana Chubbuck, et des directeurs de casting. Elle prend des cours de théâtre, s’applique à camoufler son accent. Les résultats ne tardent pas : Charlize décroche un premier rôle dans une série B catastrophique, Two Days in the Valley. Suivent d’autres films. That Thing You Do (1996), Trial and Error (1997), The Devil Advocate (1997), Celebrity (1998)(*), Mighty Joe Young (1998), The Cider House Rules (1999), Men of Honor (2000), Curse of the Jade Scorpion (2001)(*), The Italian Job (2003), etc. Les cinéphiles auront remarqué dans cette liste – incomplète – de blockbusters deux films d’auteur signés Woody Allen (avec astérisques). Charlize Theron ne joue pas seulement les fades blondes sans aspérités, si fréquentes dans le cinéma hollywoodien. Elle se fait aussi remarquer par des cinéastes qui osent lui confier des rôles à la mesure de son talent.
Et du talent, il lui en a fallu pour incarner la serial killer américaine Aileen Wuornos dans Monster, de Patty Jenkins, qui sortira en France en avril. D’abord, Charlize a dû se plonger dans l’univers d’Aileen Wuornos, une femme au destin terrible. Abandonnée par sa mère, violée par son grand-père, contrainte à la prostitution dès l’âge de 9 ans, Aileen a tué et dévalisé sept de ses clients. Sa petite amie, Selby Wall, incarnée dans le film par Christina Ricci, l’a dénoncée au FBI. Son procès a connu un fort retentissement médiatique : les militantes féministes se sont emparées du cas, arguant qu’Aileen avait agi « en état de légitime défense ». Même si elle-même, après douze ans dans le couloir de la mort, avouait avoir prémédité chaque meurtre.
« Monster a été cathartique pour moi. Certaines personnes suivent des thérapies. Moi je travaille », a avoué Charlize, qui a dû prendre, pour l’occasion, quinze kilos, s’affubler d’un dentier et porter des lentilles pour faire disparaître le bleu de ses yeux. Quant à Aileen Wuornos, elle a été exécutée par injection létale en Floride, en 2002.
En recevant son oscar des mains de Jack Nicholson, Charlize Theron s’est exclamé : « C’est tellement fou ! Moi qui vient d’une ferme en Afrique du Sud ! » Elle ne pouvait pas faire plus plaisir à ses concitoyens, qui fêtent cette année les dix ans de la « nation arc-en-ciel ». Et en particulier au premier d’entre eux : le président Thabo Mbeki, qui a profité de l’occasion pour exprimer toute sa fierté. « Le parcours personnel de Mlle Theron est une belle métaphore de l’avancée de l’Afrique du Sud, depuis l’agonie jusqu’à la réussite », a-t-il déclaré, rappelant au passage les prix Nobel de Desmond Tutu, Nelson Mandela, Nadine Gordimer et J.M. Coetzee. Quant à Nelson Mandela, qui devrait être présent au prochain Festival de Cannes, il s’est dit enchanté à l’idée de la rencontrer, « mais pas surpris » par son oscar. À la National School of the Arts de Johannesburg, où elle suivait autrefois des cours de ballet, le directeur Léon Van Gent s’est réjoui du succès « d’une des élèves » de son école. Et nombreux sont les journaux – notamment le Benoni City Times – qui ont fait leur une avec la photo de Charlize, rayonnante. C’est donc avec tous les honneurs – tapis rouge compris – qu’elle sera reçue, cette semaine, dans son pays natal. Aujourd’hui, nul doute qu’elle a « la tête dans les nuages », titre de son prochain film, où elle partage l’affiche avec son fiancé irlandais, Stuart Towsend.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires