Teresa Kerry

Spontanée, fantasque, énergique, l’épouse du candidat démocrate à la Maison Blanche fait le bonheur de la presse américaine.

Publié le 9 mars 2004 Lecture : 6 minutes.

Sera-t-elle la First Lady ? La question se pose clairement, maintenant qu’il ne fait plus de doute, depuis son triomphe du « super mardi », le 2 mars, dans neuf nouveaux États, que John Kerry sera le candidat démocrate à la présidentielle américaine de novembre
2004. « Aller à la Maison Blanche serait pire qu’entrer au Carmel », disait pourtant, il y a encore peu, Teresa Heinz Kerry, son épouse.
Une réflexion qui n’est pas pour surprendre de la part de cette anti-Laura Bush. Aucune femme de candidat, depuis Hillary Clinton, n’avait autant suscité l’intérêt des médias. C’est sa façon d’agir, très différente de celle des autres épouses, plutôt en retrait, qui a propulsé Teresa sous les feux de la rampe. Quand la femme d’un Howard Dean s’exprime avec retenue dans la presse, Teresa, elle, avoue avoir recours à des injections de Botox sur le visage pour retarder les méfaits de l’âge, ou déclare, l’oeil coquin, rêver de se retrouver dans une « planque » seule avec son mari…
Un mari à qui elle a volé la vedette. Spontanée, fantasque, Teresa se démarque de John, plutôt raide et réservé. Et dans cette campagne où les discours monotones des candidats se succèdent, la fraîcheur de Mme Kerry fait mouche. « C’est elle qu’il faudrait élire », déclarait une militante du Nouveau-Mexique.
Teresa est devenue la chouchoute des journalistes depuis qu’elle leur a envoyé un courriel élogieux sur son époux, qu’elle compare à un « grand cru ». « Maintenant qu’il est arrivé à maturité et qu’il est parfait, vous saurez l’apprécier », écrivait-elle dans son message. Et entre deux meetings, elle les divertit en leur donnant, sans qu’ils l’aient sollicitée, des conseils pour réussir leur vie sentimentale.
On compare volontiers à Hillary Clinton ou à Eleanor Roosevelt – deux femmes d’action – cette Teresa qui est tour à tour considérée comme la carte maîtresse de John Kerry… ou la bombe à retardement qui pourrait signer sa perte. À 65 ans, Teresa Heinz Kerry est entrée dans la bataille électorale avec l’énergie d’un hussard, le charme en plus. Fougueuse, d’un franc-parler à la limite de la provocation, Mme Kerry ne s’embarrasse guère de formules policées pour dire ce qu’elle pense, ponctuant, au besoin, sa phrase d’un juron, avant d’affirmer que « jurer soulage ». Et malheur à ceux qui déclenchent son courroux : « C’est un article stupide, écrit par une personne stupide », déclarait-elle récemment à propos d’un portrait d’elle paru dans la presse. Quant à Jim Jordan, directeur de campagne de John Kerry, il a été vite remercié par Teresa au prétexte qu’il ne s’était pas exprimé sur les ondes l’été dernier, au moment où Howard Dean décollait dans les sondages. Mais Teresa défraie surtout la chronique avec des déclarations à l’emporte-pièce ou par un comportement pour le moins inattendu. Comme le jour où un journaliste du Washington Post, s’adressant à John Kerry, vétéran du Vietnam, lui demanda s’il lui arrivait encore de faire des cauchemars sur la guerre. Teresa, qui assistait à l’entretien, a aussitôt mimé son mari se réveillant en sursaut et hurlant : « À couvert ! Couchez-vous ! » Avant d’ajouter, en s’esclaffant : « Je n’ai pas encore reçu de coups, mais c’est mouvementé… » Cette verve, cette assurance un peu rude, Teresa les doit à son tempérament bien sûr, mais aussi, sans doute, à sa fortune. Veuve de John Heinz III, l’héritier de la firme agroalimentaire de Pittsburgh, dont l’emblème est le ketchup, elle s’est retrouvée à la tête de plus de 550 millions de dollars. Remariée en 1995, quatre ans après le crash du jet privé de Heinz, elle partage, depuis, la vie de John Kerry. Le couple s’est rencontré à la fin de 1992, au sommet de Rio de Janeiro sur l’environnement. Et si l’indépendante Teresa a bien voulu reconstituer une nouvelle famille, avec ses trois garçons et les deux filles de John, elle a tenu farouchement à garder le nom de son premier époux, en continuant de se faire appeler Teresa Heinz. D’ailleurs, aujourd’hui encore, elle parle du défunt en l’appelant « l’amour de ma vie ». Ce n’est que lorsque John s’est présenté à l’élection présidentielle qu’elle a pris son patronyme, soit neuf ans après leur union. Depuis, infatigable, elle sillonne le pays dans son jet privé et court de meeting en meeting. En tailleur chic et escarpins Chanel, Teresa n’hésite pas à se rendre dans les endroits les plus reculés du pays pour convaincre les électeurs de voter pour son mari. Le 7 février, assise dans une petite église afro-américaine de Detroit, elle a d’abord tenu à assister à la messe avant de s’adresser aux fidèles : « Lorsque j’étais étudiante en Afrique du Sud, j’étais révoltée par l’injustice du régime. C’est pourquoi j’ai participé à une marche contre l’apartheid. » En campagne dans le Middle West, elle évoque, nostalgique, le Mozambique de son enfance, si semblable par moments à cette partie des États-Unis…
Fille d’un médecin portugais, Maria Teresa Thierstein Simoes-Ferreira est née à Lourenco Marques (aujourd’hui Maputo), capitale de ce qui était alors la colonie portugaise du Mozambique. Elle y grandit tranquillement en fréquentant la jeunesse dorée coloniale, entre parties de tennis et tea-time chez ses copines. Elle poursuit ses études secondaires en Afrique du Sud, avant d’intégrer une école d’interprètes à Genève pour parfaire sa maîtrise de cinq langues. De son enfance au Mozambique, Teresa garde un souvenir ému. Elle découvre les ravages de la malaria sur des villageois démunis en accompagnant son père dans ses tournées en brousse. Elle en gardera une compassion à l’égard des plus pauvres.
C’est ainsi qu’à la mort de son premier époux, renonçant à faire campagne pour reprendre le siège de Heinz au Sénat, Teresa décide de consacrer tout son temps à l’action caritative. Grâce à la fondation familiale, dotée de 1 milliard de dollars, dont elle prend les rênes, elle devient l’une des plus grandes philanthropes des États-Unis.
Pourtant, celle qu’on surnomme « sainte Thérèse » n’est pas en odeur de sainteté partout. On lui reproche de faire de l’ombre à son mari et de se montrer trop individuelle. Il est vrai qu’elle donne par instants l’impression de faire un peu campagne à part. Ainsi, Teresa possède son propre programme, sa propre équipe à Washington, et utilise son propre avion pour ses déplacements. Les conseillers de son candidat de mari veillent sur ses dérapages, aussi fréquents que redoutés, et certains la dépeignent comme un « canon verbal lâché dans la nature », dont les propos mettent Kerry mal à l’aise.
En effet, lorsqu’elle ne raconte pas qu’elle a failli avorter par le passé, Teresa révèle que son mari a été récemment opéré d’un cancer de la prostate, plongeant les stratèges de ce dernier dans l’embarras. Certains critiquent sa propension à donner de son époux l’image d’un grand dadais dominé par sa femme. En juin 2002 déjà, un article retentissant du Washington Post décrivait Teresa se déchaînant contre les caprices de ses animaux domestiques, tandis que Kerry essayait maladroitement et sans grand succès de la calmer. Dans le camp républicain, on se gausse de John Kerry en racontant que lorsqu’il se couche dans le lit conjugal, c’est pour mieux aller à la recherche de fonds… pour le financement de sa campagne.
Un reproche injuste puisque Teresa, comme tout donateur, a simplement remis un chèque de 2 000 dollars à son époux. Mais, si la milliardaire fait couler autant d’encre, c’est d’abord parce qu’elle déroute tout le monde. À commencer par ses propres amis qui, tout en louant son sens des affaires et sa générosité, reconnaissent qu’elle peut parfois se révéler excentrique.
La société américaine adore les superwomen tout en admirant la femme au foyer. Et la sémillante épouse de John Kerry a beau raconter que le tricot est son passe-temps favori, personne n’est dupe. Une chose est sûre : si Kerry est élu président, il aura tout intérêt à éviter les stagiaires de la Maison Blanche et à se tenir à carreau, car Teresa, son as de pique, a prévenu : « Si mon mari s’avisait de me tromper, je le mutilerais de mes propres mains. »

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