Strip-tease (suite)

Publié le 9 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

Chaque jour ou presque, comme dans la danse des sept voiles, l’exercice d’effeuillage sans
fin auquel se livre le colonel Kadhafi depuis le début de cette année 2004 face à la toute-puissante Amérique connaît un épisode de plus. Après avoir ouvert les portes de ses casernes, de ses arsenaux, de ses laboratoires et de ses arrière-cours aux inspecteurs de la CIA et du MI6, après avoir autorisé les avions-cargos de l’US Air Force à emporter aux États-Unis les centrifugeuses, conteneurs d’hexafluoride d’uranium et autres plans d’engins nucléaires acquis à coups de dizaines de millions de dollars, après avoir accepté de détruire trois mille obus à tête chimique sous l’il vigilant des inspecteurs
venus de New York et rendu un vibrant hommage aux États-Unis devant un Congrès général du peuple médusé (et vraisemblablement ravi), voici que le « Frère leader » est accusé
d’avoir « vendu », de la manière la plus crue qui soit, ses fournisseurs de l’ombre.
Journaliste d’investigation réputé pour la qualité de ses sources, Seymour Hersh affirme ainsi dans la dernière livraison du New Yorker que ce sont les Libyens eux-mêmes qui ont livré à la CIA les informations permettant de saisir, en octobre 2003, la cargaison qui leur était pourtant destinée du navire BBC-China dans le port italien de Tarente. Ce
cargo allemand transportait sous une fausse déclaration des pièces de centrifugeuses de modèle Pak 2 fabriquées en Malaisie sous la supervision du Dr Khan, le père de la bombe pakistanaise, et commandées par le « Conseil scientifique libyen » de Tripoli. Furieux, le président pakistanais Pervez Musharraf y a vu à juste titre sans doute un piège.
Au point qu’il n’a pas hésité, dans un discours télévisé prononcé en ourdou en janvier, à stigmatiser la « trahison » de ses « frères musulmans » libyens
En attendant que le FMI et la Banque mondiale mettent demain leur nez dans les comptes de la Jamahiriya, Mouammar Kadhafi s’est également engagé sans aucune retenue dans un exercice d’ouverture tous azimuts dont le but est de se refaire une virginité, un peu comme on recoud à l’aide de fil blanc un hymen depuis longtemps déchiré. Le colonel a ainsi permis ce qu’aucun chef d’État arabe n’a jamais autorisé : pendant deux semaines, en
février, une délégation d’Amnesty International a pu sillonner le pays et formuler ouvertement, à Tripoli même et sous la tente du « Guide », ses reproches et ses critiques. Les inspecteurs en droits de l’homme ont pu visiter l’Académie de police de Tripoli, la prison d’Abou-Salim, où sont détenus plus de six cents islamistes, et la localité « martyre » de Beni Waled, théâtre de troubles et d’une répression féroce en octobre 2002. Ils se sont entretenus avec des juges, des avocats, des prisonniers et des
ministres. Ils ont évoqué les tortures, les détentions sans jugement, les tribunaux populaires et la peine de mort. Ils ont même, à en croire leur chef Claudio Cordone, posé devant Kadhafi le cas de deux disparus célèbres : l’imam chiite libanais Moussa Sadr, enlevé à Tripoli en 1978, et l’ancien ministre libyen des Affaires étrangères Mansour Kikhia, kidnappé au Caire en 1993. Le colonel, dit-on, en a pris bonne note, laissant à son entourage le soin de préciser qu’à ses yeux les islamistes ne méritaient pas plus le statut de prisonniers d’opinion que les détenus de Guantánamo. Histoire de rappeler qu’il se situe désormais du bon côté (américain) de la planète.

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