Stratégies cotonnières

Comment créer une industrie textile nationale sans trop déroger aux sacro-saintes règles du libéralisme ? Les cercles dirigeants se perdent en conjectures…

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Le débat en cours à Bamako sur la libéralisation de la filière coton semble être passé au second plan. Depuis quelques jours, il est surtout question de la valorisation de la production. Il y a d’abord eu, les 19 et 20 février, la rencontre de l’Organisation professionnelle des industries cotonnières et textiles (Opict) de la zone UEMOA. Puis l’inauguration, le 21 février, de l’usine de transformation textile Fitina, la deuxième du genre au Mali. Enfin l’ouverture, le 1er mars, d’un Forum sur le coton africain, et, le même jour, la reprise de l’usine de transformation Itema par un opérateur privé. Pour sa part, le président Amadou Toumani Touré ne manque pas une occasion de rappeler que l’ambition de son pays, premier producteur africain de coton cette année, mais qui ne transforme qu’à peine 1 % de sa production de fibres, est de « passer du statut d’exportateur de matières premières brutes à celui d’exportateur de produits semi-finis ».
L’idée semble frappée au coin du bon sens, mais sans doute faut-il y regarder de plus près. Certes, le Mali a produit l’an dernier 625 000 t de coton-graine – un record – et la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) annonce pour 2003 un bénéfice de 1 milliard de F CFA (1,5 million d’euros). En novembre 2003, il a par ailleurs obtenu le visa Agoa (African Growth Opportunity Act) qui lui permet d’exporter, sans frais de douane, des produits finis aux États-Unis. Ce sont là des conditions favorables au développement d’une industrie textile locale. Sont-elles pour autant suffisantes ?
En fait, les obstacles sont nombreux. Le premier d’entre eux concerne le prix de l’électricité. Électricité du Mali (EDM) facture le kilowattheure environ 80 F CFA, un prix deux fois supérieur à celui pratiqué en Côte d’Ivoire. À l’initiative d’ATT, le contrat de concession est en cours de renégociation avec les deux gestionnaires d’EDM, Saur international (filiale de Bouygues) et le groupe de l’Aga Khan.
Deuxième obstacle : les coûts de transport, conséquence de l’enclavement du pays. Après le déclenchement de la crise en Côte d’Ivoire, le Mali s’est trouvé confronté à de sérieuses difficultés pour évacuer ses fibres. Aujourd’hui encore, alors qu’un corridor a été ouvert jusqu’au port d’Abidjan, l’exportation est soumise à de nombreux aléas et surcoûts.
Troisième obstacle : les importations, souvent frauduleuses, qui inondent le marché de Bamako. Les prix pratiqués sont tellement bas que la confection locale ne peut en aucun cas s’aligner. « Sur la quarantaine d’unités de transformation qui existaient dans la zone UEMOA dans les années 1960, seules vingt ont survécu », rappelle Choguel Maïga, le ministre du Commerce et de l’Industrie. Selon Aliou Kane, le directeur adjoint de la Compagnie malienne des textiles (Comatex), le chiffre d’affaires de sa société est passé de 9 milliards de F CFA en 1997 à moins de 6 milliards en 2003. Compte tenu de ces contraintes, l’objectif de transformer localement 25 % des fibres produites dans la zone UEMOA à l’horizon 2010, comme le suggère une récente étude de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), paraît peu réaliste. À court terme, l’entreprise Fitina envisage de transformer 5 000 t par an. Avec la production de la Comatex, on arrive à un chiffre d’environ 2 %.
La seule façon de développer l’industrie textile semble donc d’obtenir des dérogations aux règles du marché. Ainsi, lors de la réunion de l’Opict, les industriels de la sous-région ont appelé à la mise en oeuvre d’un certain nombre de « mesures d’urgence », comme la suspension de la TVA sur les produits textiles pendant quatre ou cinq ans et l’arrêt des importations de tissus de type « Africa Print » (comme le fancy et le wax). Des propositions « extrêmes » que le ministre du Commerce se propose néanmoins d’« étudier ».
Reste que l’État malien s’est déjà résolu à transgresser les règles du libéralisme. À son instigation, un accord a été conclu aux termes duquel la CMDT accepte de facturer ses fibres à Fitina à un prix inférieur de près de 30 % au cours mondial. L’État consent en outre à cette dernière une ristourne sur le montant global. Il est permis de se demander si la production serait rentable sans cet accord.
Ancienne ministre de la Culture et promotrice d’un Forum sur le coton africain qui regroupe de nombreux producteurs de la sous-région, Aminata Traoré propose une solution bien différente. Le Mali, explique-t-elle, est riche d’un artisanat traditionnel de qualité qui peut lui permettre de s’imposer sur certaines « niches » commerciales, dans les pays du Nord notamment. Selon elle, cette stratégie permettrait aux artisans de rester maîtres de leur production et de leur savoir-faire. Ce plaidoyer « altermondialiste » n’a pas dû déplaire à José Bové, présent lors du Forum. Mais le développement de la filière coton au Mali peut-il vraiment faire l’économie de l’industrialisation ? Nombre d’observateurs n’en sont pas convaincus.

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