Pragmatisme anglo-saxon

Publié le 9 mars 2004 Lecture : 2 minutes.

Sheraz a l’habitude de sillonner le quartier populaire de Hackney, dans l’est de Londres, vêtue de son uniforme de police. Rien d’anormal pour l’observateur français, si ce n’est qu’elle porte aussi, sous son képi d’agent de la paix de Sa Majesté, le voile islamique. En France, Sheraz serait sommée de le retirer sous peine d’être exclue des services de
l’ordre pour non-respect des lois de la République.
La différence d’approche entre ces deux pays européens trouve en partie ses racines dans leur histoire. La France, poussée par les idéaux révolutionnaires et par l’esprit des Lumières, a consacré, au début du XXe siècle, la séparation de l’Église et de l’État. Plus exactement, la loi de 1905 introduit un concept nouveau : la laïcité. Un terme intraduisible en anglais. Et pour cause : le souverain du Royaume-Uni, garant de la religion d’État, se doit d’en adopter la foi. S’il est le chef de l’Église anglicane, cela ne signifie pas pour autant qu’il impose sa confession à ses sujets, surtout quand ces derniers viennent de pays étrangers.
La gestion de l’immigration et le rapport à l’autre développé par chacun des deux anciens empires coloniaux apportent des éléments de compréhension supplémentaires. La France se fonde sur le principe d’intégration, tandis que la Grande-Bretagne se complaît dans le communautarisme, assurant la cohabitation pacifique de divers groupes ethniques. Les Britanniques présentent volontiers ce puzzle multiculturel comme la preuve de leur esprit libéral. Interdire le foulard serait considéré comme une agression, voire comme une atteinte aux droits de l’individu. Les minorités ethniques sont au contraire encouragées à cultiver leurs particularismes, gage de l’enrichissement de la société britannique. Mais
cet apport doit se faire naturellement. Autrement dit, contrairement aux Américains, qui ont adopté la discrimination positive pour garantir le multiculturalisme, les Britanniques
« laissent faire ». Et ça marche, insiste la secrétaire d’État à l’Intérieur, Fiona
Mactaggart : « Nous avons réussi à trouver au sein de notre propre culture un moyen de célébrer la diversité sans polémique. »
Les États-Unis ont hérité de la conception britannique, à la différence notable qu’ils ne reconnaissent pas de confession officielle. Ce qui ne les empêche pas de considérer la religion comme « un des piliers de l’épanouissement de l’homme », selon George Washington. La Constitution américaine (Bill of Rights) consacre la liberté de religion comme un principe fondamental. À l’école, les musulmanes peuvent porter le hidjab, les juifs la kippa et les sikhs le turban. En septembre 2003, une « affaire de foulard » a
cependant éclaté dans un collège d’une petite ville de l’Oklahoma. Aux termes d’un règlement intérieur datant de 1997, les élèves du lycée Ben Franklin Science Academy n’étaient plus autorisés à porter de couvre-chef, y compris une casquette de base-ball.
Une interdiction illégale en vertu du Religious Freedom Restoration Act, qui condamne la proscription des attributs religieux dans les établissements scolaires. À moins que cela ne relève d’une volonté de « provocation » ou « d’intimidation », précise John Hanford, responsable du dossier de la liberté religieuse au département d’État. Une nuance qui peut être mal interprétée, surtout depuis les attentats du 11 septembre, après lesquels les musulmans « barbus » ont été de plus en plus fréquemment assimilés à des terroristes
en puissance
En somme, les pays anglo-saxons ont opté pour une approche pragmatique, tandis que la France a adopté une démarche rationnelle, voire rationaliste, qui l’a conduite à légiférer sur la question.

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