Pour qui votent les femmes ?

Comme à chaque échéance électorale, la révision du code de la famille est en débat à l’approche du scrutin présidentiel du 8 avril. Rares, toutefois, sont les militantes féministes à croire encore aux promesses des partis…

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

« Vive l’Algérie ! Vive Louisa ! » Debout, en tailleur gris sombre, coiffée d’un impeccable chignon, Louisa Hanoune fait face à ses militants. De sa tribune ornée du drapeau algérien, la porte-parole du Parti des travailleurs (PT) prend date : en ce 20 février 2004, elle devient, après la Mauritanienne Aïcha Mint Jidane en novembre 2003, la première femme du monde arabe à se présenter à une élection présidentielle – sa candidature sera validée par le conseil constitutionnel le 1er mars. Et si son discours tend aujourd’hui vers un certain populisme d’extrême gauche, personne n’a oublié qu’elle fut, en 1984, parmi celles qui créèrent la première association féminine « pour l’égalité devant la loi entre hommes et femmes ». À l’époque, le statut personnel de la femme venait d’être modifié par l’Assemblée populaire nationale, à l’unanimité et sans débat aucun. Tout juste avait-on glosé sur la longueur idoine de la canne qui flagellerait l’épouse désobéissante. Le code de la famille était né, paraphé par le président Chedli Bendjedid le 9 juin de cette année 1984.
Depuis, dans les textes, rien n’a changé quant aux droits de la femme. La fille, l’épouse, la mère sont toujours soumises au primat masculin. Qu’il s’agisse de mariage, de divorce, de droits de succession, le code de la famille sanctionne juridiquement son infériorité.
Paradoxalement, en vingt ans, les femmes algériennes ont conquis un certain nombre de libertés individuelles dans l’espace public. D’abord et surtout par l’instruction : depuis 1992, la majorité des bacheliers sont des bachelières, malgré un taux de réussite globalement très faible (10 %). Plus nombreuses au lycée et à l’université, les femmes restent toutefois largement minoritaires dans le monde du travail. « Elles sont très peu insérées dans la vie professionnelle, relève Imane Hayef, économiste. Sur les 6,7 millions de personnes occupées au dernier trimestre 2003, 930 000 seulement sont des femmes. »
Longtemps limité au monde rural, le travail des femmes s’est aujourd’hui urbanisé, notamment dans le secteur administratif. Bien que leur activité professionnelle soit d’autant mieux acceptée qu’elles sont instruites, le contexte économique a entretenu un certain ressentiment des hommes à leur égard. Accusées de concurrencer sinon d’usurper le travail des hommes, un thème repris par les islamistes dans les années 1990, les femmes ont vu les obstacles se multiplier. Les problèmes de discrimination à l’embauche et de harcèlement constituent de sérieux freins à leur ascension professionnelle. Peu d’entre elles occupent des postes de décision. « Ça commence à changer, observe Nafissa Lahrèche, présidente de l’association Femmes en communication, par ailleurs directrice du mensuel « féminin et féministe » Ounoutha. Beaucoup de sociétés privées emploient des femmes parce qu’elles sont de plus en plus qualifiées. » Cette évolution ne va pas sans poser de nouveaux problèmes sociaux. La faute à la tradition ? « Il y a bien sûr une dimension culturelle, renchérit sa collaboratrice Mina Zerrouk. Quand les femmes ont des postes à responsabilité, la virilité de certains en prend un coup. » D’où, en retour, un regain de brutalité masculine. Près d’un tiers des Algériennes subiraient des violences domestiques, victimes du frère, du père ou du mari. « Il existe de plus un réel déséquilibre socio-économique, poursuit Mina Zerrouk. Comme les garçons préfèrent s’adonner au trabendo plutôt que poursuivre leurs études, des femmes diplômées épousent parfois des analphabètes. »
Désormais ministres, présidente du Conseil d’État, wali (préfet), artistes, avocates, commissaires de police ou encore chefs de gare, les femmes doivent encore lutter pour améliorer leur statut au sein même de la cellule familiale. Mais faut-il pour autant abroger ou amender le code de la famille ? Telle est la question qui divise actuellement le mouvement féminin. Pour les adeptes des amendements, mieux vaut ne pas brusquer les choses et faire évoluer le droit musulman. En revanche, pour les partisanes de l’abrogation, le statut personnel de la femme est une affaire de droit civil qui n’a rien à voir avec la religion. Partagées entre ces deux positions, les associations féminines, fortement politisées, ont eu d’autant moins d’impact sur les gouvernants qu’elles ne parvenaient pas à s’organiser autour d’un lobby. Jusqu’au début des années 1990, la puissante Union nationale des femmes algériennes n’était que l’émanation féminine d’un parti alors unique. Les opposantes avaient du mal à s’unir, quand bien même elles poursuivaient la même lutte cristallisée autour de la révision du code de la famille. Plus tard, les mêmes causes ont fini par produire les mêmes effets : les revendications féministes ne devaient aucunement contredire la ligne politique du parti, d’autant que, jusqu’en 1991, les maris pouvaient en toute légalité voter en lieu et place de leurs femmes.
Depuis cette date, les statistiques montrent que, si les femmes ne participent que très peu à la vie politique d’un parti – à hauteur de 3 % -, elles tiennent fermement à leur droit électoral. « On a vu un certain changement des comportements lorsque le vote par procuration a été supprimé, explique Imane Hayef, auteur d’une étude sur la perception du droit de vote chez les femmes. Après 1991, contre toute attente, le taux d’abstention n’a pas fortement changé au sein de la population féminine. » Pourtant, lors des consultations ultérieures, les femmes se sont souvent montrées plus abstentionnistes. « La classe politique a toujours peur de l’abstention, qui signifie que les citoyens ne s’intéressent pas au scrutin, continue Imane. C’est à mon sens le seul véritable enjeu, car, actuellement, aucun candidat à la présidentielle ne pose la moindre question de société sensible. »
Il n’empêche, certains sujets reviennent comme un leitmotiv à chaque échéance électorale. Il en va ainsi de la révision du code de la famille, une démarche « purement électoraliste », à en croire Ourida Chouaki. « On en a marre, s’insurge la présidente de l’association Tharwa Fadhma N’Soummer, membre du collectif « 20 ans, ça suffit ! » Les femmes ont proposé des amendements pour réviser les articles les plus discriminatoires. C’était en 1996. On nous a répondu par une fin de non-recevoir. C’est facile d’inscrire la révision du code dans un programme politique. Mais les associations ont pris conscience qu’elles avaient été utilisées. »
En réalité, rares sont les militantes qui croient encore aux promesses, surtout à court terme. « C’est à la mode en ce moment de parler du code de la famille, ironise Mina Zerrouk. Quand j’entends les filles du FLN dire que la question est importante, mais qu’elle n’est pas à l’ordre du jour, comment voulez-vous qu’on les prenne au sérieux ? Je ne fais pas plus confiance à Benflis qu’à Djaballah [candidats respectifs du FLN et d’el-Islah, islamiste]. Sont-ils vraiment pour la cause féminine ? Je ne crois pas que le changement viendra des partis. »
Une opinion que pourrait partager une bonne partie des quelque sept millions d’électrices algériennes. Selon une étude menée sur les choix politiques des femmes, ces dernières auraient plutôt tendance à se tourner vers les candidats les plus rassembleurs, autrement dit les candidats du pouvoir.

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