Papa Wemba
Le musicien congolais est soupçonné d’avoir facilité la venue en Europe de centaines de clandestins. Il reste en liberté conditionnelle, mais ses ennuis judiciaires ne sont qu’en partie résolus.
Souriant, disert, taquin… Papa Wemba a retrouvé la joie de vivre en ces premiers jours de mars. Fini les ressentiments de l’homme blessé sorti, le 5 juin 2003, de trois mois et trois semaines à l’ombre à Fleury-Mérogis. La silhouette enveloppée, le teint éclatant, les dreadlocks taillés et mieux entretenus renseignent sur le moral du chanteur. Qui brandit à son interlocuteur, tel un trophée, l’acte daté du 25 février 2004 de la police fédérale des frontières belge, lequel lève le mandat d’arrêt international lancé contre lui le 17 février 2003 par le juge bruxellois Jean Coumans. « Lors de son récent passage en Belgique, le président Joseph Kabila a dû peser de tout son poids pour que la justice de ce pays respecte mes droits », commente Wemba, visiblement soulagé d’être sorti « indemne » de la folle semaine qui a suivi son extradition.
Le 17 février 2004, l’artiste a en effet été livré par des policiers français à leurs collègues belges à la frontière entre les deux pays. Le transfert a failli virer au drame. Sur la route vers le palais de justice de Bruxelles, le véhicule qui transportait le chanteur et les trois policiers qui le convoyaient a effectué deux tonneaux complets ! Wemba s’en est sorti avec une légère blessure à la jambe et une autre à la nuque, au grand soulagement de ses fans, qui ont dû retenir leur souffle.
Après l’avoir inculpé pour « traite d’êtres humains et association de malfaiteurs », le juge bruxellois Hervé Louvot lui a ordonné de rester sur le territoire belge jusqu’au 25 février, pour les besoins de l’enquête. Libre de tout mouvement depuis ce jour, le musicien a regagné la France.
Ce dernier rebondissement dans l’affaire a davantage mobilisé les autorités de la RD Congo. Au tout début choquées par le fait que Wemba ait été présenté comme un Belge, elles ont déployé les « gros moyens » une fois convaincues qu’il avait la seule nationalité congolaise. Elles ont commis Me Michel Langa, avocat de la RDC à Paris, pour le défendre. Le 28 mai 2003, à l’issue de la décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, le président Joseph Kabila en personne a déboursé la caution de 30 000 euros. La star obtenait ainsi la libération conditionnelle le 5 juin.
De passage à Paris, début 2004, le chef de l’État congolais a longuement reçu Papa Wemba, le 3 février, dans sa suite de l’hôtel Bristol. Le président a certainement touché un mot à son homologue français des ennuis judiciaires de la star. Jacques Chirac est d’ailleurs « sensibilisé au dossier », pour connaître personnellement Papa Wemba, depuis qu’il était maire de Paris. Chirac, qui appelle Wemba « l’homme au chapeau », l’a invité à l’un de ses meetings, au Bataclan, au cours de la campagne électorale qui a précédé la présidentielle d’avril 2002.
Pour la suite de sa procédure, l’artiste peut compter sur des « appuis sûrs » dans l’entourage de Joseph Kabila : Henri Mova Sakanyi, le vice-ministre des Affaires étrangères et Léonard She Okitundu, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale devenu ambassadeur itinérant de la RDC…
Entouré, soutenu, Wemba est particulièrement sensible à l’appui de « [ses] amis de la world music ». Il ne se lasse pas de dire sa reconnaissance à Johnny Hallyday, Manu Dibango, Peter Gabriel, Jacky & Benj de Neg’Marron… Ami d’Eric Clapton et de Stevie Wonder, il a tiré parti de la pétition signée par de grands noms de la musique mondiale pour réclamer sa libération.
Mais ses proches déplorent qu’aucun musicien congolais ne lui ait témoigné de la sympathie pendant cette épreuve. À l’exception du Mopao mokonzi (« le Grand parmi les grands », en lingala), Koffi Olomidé, qui lui a fait parvenir une lettre dans sa cellule en mai 2003. Sans toutefois indiquer une adresse à laquelle Wemba aurait pu répondre.
Les ennuis judiciaires n’ont pas éteint la flamme artistique du roi de la rumba. Dès sa sortie de la prison de Fleury-Mérogis, où il a séjourné du 17 février au 5 juin 2003, il a repris le chemin des studios pour enregistrer un album, Somo Trop, « mûri » pendant sa détention. Le morceau phare, « Numéro d’écrou », relate son expérience de l’univers carcéral. L’opus, sorti fin octobre, « se comporte bien depuis son arrivée dans les bacs ».
L’artiste a mis à profit sa liberté retrouvée pour « travailler » son image. Il a ainsi pris part, aux côtés de ses compatriotes, le 4 janvier 2004, sur le parvis des Droits de l’homme, place du Trocadéro, à Paris, à la commémoration du 45e anniversaire de la journée des Martyrs. La présence du musicien a frappé plus d’un participant à ce regroupement à la mémoire des Congolais massacrés en 1959 par l’administration coloniale belge pour avoir manifesté en faveur de l’indépendance.
Wemba s’est également employé à remettre de l’ordre dans ses affaires. Une nouvelle structure de management, de production et d’édition, dénommée Melvin Prod, a été mise sur pied en septembre 2003. Elle est destinée à assurer « une gestion moderne du produit Wemba ». Pour la piloter, le chanteur a choisi son propre gendre, Fabien Tellier, un Français marié à Khady Shungu, sa fille aînée.
Aussitôt créée, Melvin Prod a produit Somo Trop, et organisé un concert de la star le 15 novembre à la salle LSC, en banlieue parisienne. Elle a également entamé des négociations avec les majors Warner et Virgin (pour la production du prochain album international de la star) et avec les marques de vêtements Gaultier et Smalto pour habiller le roi de la sape.
Comme si son absence des podiums avait décuplé sa valeur, Wemba croule depuis quelques semaines sous les propositions pour se produire en France et dans plusieurs capitales africaines. Mais la carrière de la star souffre de l’interdiction qui lui est faite de quitter la France métropolitaine. Ses trois avocats, Yves Léberquier, Michel Langa et Jean-Charles Tchikaya, s’efforcent de le tirer des mailles de la justice. En Belgique, l’artiste a nié les faits qui lui ont été reprochés par le juge Louvot, le 17 février. Avant de demander à être confronté aux quinze personnes arrêtées le 14 février 2003 à l’aéroport de Bruxelles. Celles-ci ont affirmé lui avoir remis 3 500 dollars (2 800 euros) chacune en échange d’un visa d’entrée en Europe en qualité de musicien de son groupe, Viva La Musica.
En France, le dossier a été transmis depuis plusieurs mois par le juge d’instruction Roger Le Loire au procureur de Bobigny. Celui-ci tarde à faire ses réquisitions pour, le cas échéant, déférer l’artiste devant le tribunal correctionnel.
Selon des sources proches de l’affaire, les avocats de la défense pourront sans difficulté démonter les accusations de « falsification de documents », « obtention indue de documents administratifs » et « détention de faux ». Restera celle d’« aide au séjour irrégulier en bande organisée ». Une infraction d’une gravité moindre au regard de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France.
Pour l’heure, Papa Wemba savoure la levée du mandat d’arrêt international. « J’avais l’impression d’être comme Ben Laden », dit-il, le visage radieux. La liberté réussit visiblement à cet amoureux du bon son, de la belle mise et de la bonne chère qui, dans une chanson à succès, prévenait les jeunes de son pays contre les risques de la délinquance : « Yébaka boloko ébébisaka moto. » Traduisez : « Sachez que la prison détruit l’homme. »
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