« Où est la volonté politique ? »

Marie-Josée Mbuzenakwame est directrice d’une association burundaise très active. Elle dénonce les lacunes des pouvoirs publics. Interview.

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 4 minutes.

A l’occasion de la Convention nationale de lutte contre le sida, organisée par l’association française Sidaction les 11 et 12 mars, des représentants d’associations nationales et internationales, des chercheurs et des cliniciens seront réunis à Paris. Il sera question de l’actualité sociale et scientifique de la lutte contre le sida, mais aussi de son avenir et donc de son financement. Marie-Josée Mbuzenakwame, directrice de l’Association nationale de soutien aux séropositifs et aux sidéens (ANSS), participe à cette convention. Elle a fait sensation en juillet dernier lors de la conférence de l’International Aids Society (IAS) qui s’est tenue à Paris, en dénonçant publiquement l’inertie des responsables politiques et des agences internationales. Mais Marie-Josée Mbuzenakwame est active dans l’ombre depuis treize ans, depuis que sa mère est morte du sida. Jeune médecin, elle a ressenti, au-délà du chagrin, une immense frustration de ne rien pouvoir faire. Elle fait le point sur la lutte, sur la situation des associations et sur l’avenir de ce type de convention.

Jeune Afrique/L’intelligent : Vous avez acquis une renommée internationale en juillet 2003, lors de la cérémonie d’ouverture de l’IAS, en interpellant ceux qui parlent beaucoup mais font peu. Qu’attendez-vous de cette nouvelle convention ?
Marie-Josée Mbuzenakwame : C’est un plateau d’échanges d’expériences avec un très bon niveau scientifique. Dans nos pays, où nous avons de nombreux malades, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps et de l’argent. Nos collègues du Nord ont une expérience plus longue, notamment de l’administration des médicaments, dont nous pouvons nous inspirer. Nous nous tenons également informés sur les progrès scientifiques, car cela avance très vite. C’est également l’occasion d’échanger avec les associations oeuvrant au Sud, et de mettre en commun nos problèmes.
J.A.I. : Vous êtes directrice de l’ANSS, structure historique dans la prise en charge des malades. Quel est votre rôle au Burundi ?
M.J.M. : Essentiel. Nous sommes le centre de référence et nous participons à toutes les réunions avec les experts internationaux. Peut-être parce que depuis le début, en 1993, nous avons prouvé notre motivation et notre capacité à réussir. Nous avons également le plus grand nombre de patients du pays. Les deux tiers des 1 500 Burundais sous antirétroviraux (ARV) sont suivis dans le centre de l’ANSS. Un lieu où ont également été réalisés 7 000 dépistages en 2003. Et pourtant, nous ne sommes pas le service public. D’ailleurs, nous ne sommes pas toujours d’accord avec les autorités. Ainsi, récemment, le pays a obtenu une enveloppe de 8 millions de dollars (6,5 millions d’euros) du Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose. Cet argent a été alloué sur la base d’un projet qui prévoyait la distribution gratuite d’ARV. Le gouvernement a changé d’avis et s’est opposé à cette gratuité. Nous avons lutté pour l’obtenir. Car si les gens ne se font pas dépister, c’est parce qu’ils savent qu’ils ne pourront de toute façon pas se soigner, même avec des traitements à bas prix. Encore aujourd’hui, le traitement équivaut à la moitié du salaire d’un médecin.
J.A.I. : Jusqu’à maintenant, les associations ont beaucoup oeuvré contre le sida, particulièrement en Afrique. L’avenir de la lutte sur le continent passe-t-il par ces structures ?
M.J.M. : Non. Les gouvernements ne pourront pas se défiler indéfiniment. Dans mon pays, sur 300 000 séropositifs, 10 % ont un besoin urgent de traitement. Seuls 1 500 y ont accès. Les orphelins, les 200 000 de la guerre et les 250 000 du sida, représentent 10 % de la population. Si le gouvernement n’investit pas dans le social, nous courons à la catastrophe. Or la santé ne représente que 2 % du budget de l’État, l’éducation pas même 10 %. Et dans un petit pays comme le nôtre, 2 % du budget national équivaut au prix d’un petit appartement à Paris. Le gouvernement doit rendre des comptes, aux bailleurs notamment, sur les postes éducation et santé, qui font régulièrement l’objet d’audits. En revanche, le budget de la sécurité, qui ne fait lui jamais l’objet d’audit, représente 40 % du budget de l’État. C’est l’endroit idéal pour investir le maximum d’argent. On ne sait d’ailleurs pas vraiment ce qu’ils en font.
J.A.I. : L’Afrique ne va-t-elle pas pâtir de l’attention accordée à l’Asie et à l’Europe de l’Est ?
M.J.M. : Bien sûr. Ces deux régions du monde pèsent plus lourd économiquement et intéressent plus les médias. Il va falloir que l’Afrique se montre solidaire avec elle-même, comme elle a déjà su l’être, et prouve qu’elle peut réussir seule. Le problème n’est d’ailleurs pas financier. Notre association fonctionne bien grâce à différents fonds : Sidaction finance la structure, de nombreuses autres fondations paient les médicaments. Le problème aujourd’hui, c’est l’absence de volonté politique.

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