Malek Chebel

Anthropologue et psychanalyste

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Spécialiste du monde arabe et de l’islam, Malek Chebel, 51 ans, est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur la société musulmane, notamment Le Corps en islam (PUF, 1984), L’Esprit de sérail, Mythes et pratiques sexuels au Maghreb (Payot Poche, 1995) ou encore L’Encyclopédie de l’amour en islam (Payot, 1995). Son dernier livre, Manifeste pour un islam des Lumières (Hachette Littératures, 2004), consiste en vingt-sept propositions pour réformer l’islam.
Jeune Afrique/L’intelligent : Les travaux de la commission Stasi n’ont-ils pas, sur le terrain législatif, accouché d’une souris ?
Malek Chebel : En effet. J’ai le sentiment qu’il y avait, dès le départ, la volonté d’arriver à un texte court réaffirmant le principe de la laïcité, au détriment d’autres principes comme celui de l’identité. Ce texte refuse aux jeunes issus de l’immigration le droit de s’approprier une autre identité que celle qu’on leur propose. Il fallait couper court à toute remise en question, même partielle, de la laïcité.
J.A.I. : Fallait-il légiférer, et le faire de cette manière ?
M.C. : Légiférer, sûrement. On a affaire à des gens qui accaparent le cadre religieux pour imposer leur vérité, au détriment de celle des autres. Cela crée un climat malsain. La loi est donc une bonne chose, mais seulement si elle est complétée par des mesures plus globales. Bien sûr, elle doit s’appliquer à tous, de manière rigoureuse et équitable. C’est fondamental. Mais il ne faut pas oublier qu’elle n’est qu’un référent, la partie visible de l’iceberg. La partie immergée, c’est la misère, la marginalité, les tours « criminogènes » et les banlieues sans espoir.
J.A.I. : Le problème n’est pas uniquement économique et social…
M.C. : Au-delà de l’économique et du social, il y a l’histoire, l’idéologie et la religion. Mais tout cela ne s’exprimait pas de la même manière il y a seulement dix ans. Depuis, on assiste à une politisation des banlieues et de l’islam. Mais c’est une politisation anarchique, incontrôlée, qui s’opère dans le silence et l’anonymat. Face à ce phénomène, les politiques ont longtemps préféré fermer les yeux. En laissant faire, ils ont pris le risque de voir se constituer certains mouvements sur la base exclusive de l’adhésion à un dogme, ce qui est pour le moins dangereux.
J.A.I. : Cette situation est-elle propre à la France ?
M.C. : Non, mais c’est en France que les populations musulmane et juive sont le plus nombreuses. Et il existe dans ce pays une tradition laïque, une stricte séparation du religieux et du politique, qui n’a pas d’équivalent en Europe. Je crois aussi qu’il y a derrière ces questions un vrai non-dit, pour ne pas dire un tabou. Regardez l’UMP (parti présidentiel). Jusqu’à présent, le parti présidentiel était celui qui avait le mieux réussi à intégrer les Maghrébins à la vie politique. Or sur ses listes pour les prochaines élections régionales, il n’y a pratiquement aucun candidat issu de l’immigration figurant en position éligible. L’adoption de la loi n’ayant pas transformé les mentalités comme par enchantement, il est à craindre que le discrédit dont l’islam fait l’objet perdure. Et que ladite loi soit appliquée avec davantage de rigueur pour les musulmans que pour les autres.
J.A.I. : Le remède serait donc pire que le mal ?
M.C. : Non, dans la mesure où la minorité a malgré tout intérêt à ce qu’une loi existe. Les musulmans se laissent trop facilement manipuler. Ils auraient dû accepter de meilleur gré de se soumettre à la règle commune, car aujourd’hui ils donnent l’impression de refuser l’intégration et la citoyenneté française au nom de je ne sais quelle liberté absolue de jeunes filles qui ont décidé de porter le voile pour des raisons assez obscures. Selon moi, un tiers d’entre elles le mettent par conviction religieuse ; un tiers le portent ou l’enlèvent au gré des circonstances ; et le tiers restant, les plus politiques et donc les plus dangereuses, l’arborent pour embêter le parti adverse, la France, l’Occident.
J.A.I. : Cette loi n’arrive-t-elle pas trop tard ?
M.C. : Si, bien sûr, il aurait fallu légiférer dès le premier incident lié au voile, en 1989 : les musulmans ne se sentiraient pas aujourd’hui inutilement blessés. D’autant que, dans l’intervalle, l’indispensable travail d’éducation, d’intégration économique et intellectuelle de ces populations n’a pas été entrepris.

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