L’exception turque

Publié le 8 mars 2004 Lecture : 3 minutes.

Pays à majorité musulmane, la Turquie est, depuis 1923, un État laïc et républicain. Ces deux principes inscrits dans la Constitution sont l’oeuvre de Mustapha Kemal, dit Atatürk, qui établit sur les décombres de l’Empire ottoman une nation moderne tournée vers l’Occident. Abolition du califat, adoption du calendrier grégorien, interdiction du port du voile (et du fez) dans la sphère publique : la pratique religieuse est strictement cantonnée au domaine privé.
Ce modèle, qui fait la fierté d’une large majorité de la population, est farouchement défendu par « l’État profond » (l’institution militaire, la Haute Administration, la justice). Ce fut notamment le cas après le coup d’État du général Evren, en 1980, et celui, plus feutré, qui accula le Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan à la démission en 1997.
Depuis la victoire de l’AKP, un parti conservateur, mais soupçonné d’islamisme rampant, aux législatives de novembre 2002, la presse nationale monte régulièrement en épingle ce qu’elle appelle « l’embrouille du foulard ». Notamment lorsque le président de la République et les membres de l’état-major boycottent des réceptions officielles pour ne pas se trouver en présence de l’épouse « enturbannée » du Premier ministre ou de celle du président du Parlement. De son côté, le noyau dur de l’AKP se montre déçu par les dérobades de ses dirigeants, contraints de faire profil bas.
L’interdiction du foulard islamique (türban) dans les lieux publics n’est pas inscrite dans la Constitution en tant que telle. Mais elle a été confirmée par la Cour constitutionnelle, qui se fonde sur les différents règlements intérieurs des administrations : tribunaux (pour les avocates), hôpitaux (pour le personnel), bâtiments institutionnels (une députée islamiste, Merve Kavakçi, fut exclue du Parlement pour cette raison en 1999), ou établissements scolaires… C’est dans les universités que la question se pose avec le plus d’acuité, comme en témoigne un professeur qui enseigne dans le privé, à Istanbul :
« La situation varie en fonction des universités ou, plus exactement, de l’attitude des recteurs. Certaines facs sont des « bastions de la laïcité ». Dans d’autres, l’administration et les étudiantes parviennent à un modus vivendi : celles qui portent le türban le dissimulent sous des chapeaux, des bonnets ou des perruques. C’est plus facile en hiver qu’en été ! Dans mon établissement, une étudiante [musulmane pratiquante, mais pas militante] a été exclue pendant un mois pour s’être présentée à un examen de rattrapage, durant l’été, coiffée du « foulard idéologique ». La commission de discipline a estimé qu’elle avait « créé du désordre au sein de l’établissement » et a voulu ainsi dissuader celles qui portent un türban d’entrer à la fac sans le recouvrir d’une coiffe plus neutre. La même commission n’a en revanche pas sanctionné un garçon qui était arrivé en cours en état d’ébriété « pour qu’il ne prenne pas de retard dans ses études ». Au quotidien, les choses sont plus simples : les étudiantes sans foulard et celles qui se voilent cohabitent sans problème. Elles peuvent être amies intimes et se raconter leurs histoires de coeur ! »
Mais attention : tous les foulards ne sont pas islamiques. Si 64,2 % des Turques couvrent leur chevelure (selon un sondage réalisé par l’institut A&G en mai 2003), seules 5,4 % d’entre elles donnent une signification religieuse à leur coiffe en la qualifiant de türban. Pour toutes les autres, le foulard n’est pas militant : appelé basörtüsü, et bien moins couvrant que le türban, il correspond à une tradition rurale – notamment dans le Sud-Est anatolien – et sociale.

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