Le show manqué de Mouammar Kadhafi
Le Guide de la Jamahiriya avait tout fait pour que le Sommet extraordinaire de l’organisation ait lieu chez lui, à Syrte. Il n’en retire guère que des désillusions.
C’est Mouammar Kadhafi en personne qui a eu l’idée de tenir un Sommet extraordinaire de l’Union africaine à Syrte, dans sa région natale. Lui aussi qui a largement contribué à définir l’ordre du jour de la manifestation. Mieux, il est parvenu à convaincre plus de quarante chefs d’État et de gouvernement de faire le déplacement. Y compris le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et l’Égyptien Hosni Moubarak, qui ne se sont jamais signalés par leur assiduité lors des grand-messes africaines. Même Romano Prodi, le président de la Commission européenne, a tenu à s’afficher à ses côtés. Comble de bonheur, la majorité des dirigeants africains s’est déclarée en accord avec la nouvelle orientation pro-occidentale de sa diplomatie.
En théorie, le Guide de la Jamahiriya avait donc toutes les raisons d’être satisfait. Pourtant, ce n’était manifestement pas le cas à l’issue du Sommet. Pourquoi ? Parce que les décisions prises n’ont pas été à la hauteur de ses attentes. Et que la plupart de ses propositions ont été unanimement rejetées.
L’ordre du jour comportait deux points essentiels : l’agriculture et les ressources hydriques, d’une part ; les questions de défense et de sécurité, d’autre part. Le travail avait été considérablement dégrossi par les ministres des Affaires étrangères, réunis quarante-huit heures avant l’ouverture du Sommet afin d’étudier les documents préparés par les experts et les ministères concernés (les ministres de l’Agriculture s’étaient, pour leur part, réunis le 11 février à Tripoli).
La Commission de l’UA avait préparé un document de travail à leur intention, mais, pour ne pas déroger à la règle, la Libye leur en a soumis un second. Embarras général ! Finalement, les deux projets ont été fusionnés et une déclaration commune a été adoptée le 27 février. Elle comporte un engagement solennel en faveur d’un développement intégré et durable, mais aussi une liste de produits agricoles stratégiques que les signataires ont promis de soutenir. Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission, a été chargé de lancer une étude de faisabilité en vue de la création d’un Fonds africain pour le développement de l’agriculture. Kadhafi a alors proposé la création d’un comité de suivi des questions agricoles composé de dix chefs d’État (deux par région). Plusieurs de ses collègues lui ont rétorqué que l’agriculture constitue l’une des priorités du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et que celui-ci dispose déjà d’un comité de suivi. La proposition libyenne a donc été rejetée. Première désillusion pour Kadhafi. La deuxième allait être plus difficile encore à avaler.
Le 27 février, dans la soirée, le Sommet aborde le dossier de l’eau, sujet sensible entre tous, surtout depuis que l’Ouganda a émis le souhait de renégocier les termes de l’accord sur le partage des eaux du Nil. Beaucoup sont convaincus que Moubarak n’a fait le déplacement que parce que la question figure à l’ordre du jour et s’attendent à un sévère affrontement avec l’Ougandais Yoweri Museveni. Erreur ! Le raïs égyptien s’est éclipsé quelques minutes après la cérémonie d’ouverture et a déjà quitté Syrte. Il faut dire que les ministres des Affaires étrangères ont pris soin de désamorcer cette véritable bombe à retardement en renvoyant la question à l’autorité transnationale regroupant les pays riverains du Nil.
Il n’empêche, une sévère prise de bec a quand même eu lieu. Mais, contre toute attente, entre Museveni et Kadhafi. Dès l’entame du débat, le numéro un libyen demande en effet la parole pour dénoncer en termes enflammés, cartes et chiffres à l’appui, la gestion catastrophique des ressources hydriques en Afrique. Le président ougandais lui succède à la tribune. Il réfute un à un ses arguments, conteste tous les chiffres avancés, tout en se défendant de vouloir nuire à l’Égypte ou au Soudan. « Si mon pays demande une renégociation, explique-t-il, ce n’est pas par caprice, mais parce que l’accord en vigueur doit être actualisé en fonction des réalités économiques, des nouvelles techniques de culture et des préoccupations de nos populations. »
Le Guide n’a pas été plus heureux avec les questions militaires (voir J.A.I. n° 2250). Comme prévu, la majorité des délégations a rejeté son idée de création, en moins de deux ans, d’une armée commune. Les États africains ne sont manifestement pas prêts à renoncer à l’une de leurs fonctions régaliennes : la défense du territoire à l’aide d’une institution militaire nationale. Mais Kadhafi a tellement insisté que, pour lui éviter de perdre la face, ses collègues ont accepté que le projet soit à nouveau soumis à un comité d’experts qui devrait se réunir au mois d’avril, à Brazzaville, pour fusionner le Pacte africain de défense et de sécurité préparé par la Commission et le projet de Pacte de non-agression et d’assistance mutuelle proposé par le Congolais Denis Sassou Nguesso.
L’ultime couac a eu lieu lors de la clôture du Sommet. Ayant demandé à prononcer le mot de la fin, Kadhafi lance une proposition qui prend tout le monde à contre-pied. « Comme vous le savez, explique-t-il, je ne suis pas un chef d’État. Je dispose d’un peu plus de temps libre que vous. En outre, Syrte dispose de toutes les infrastructures voulues. J’invite donc la Commission à venir travailler ici. » Si ce n’est pas une remise en cause de l’attribution du siège de l’UA à Addis-Abeba, cela y ressemble fort ! Cette fois, le Guide est allé trop loin. Dans les couloirs, tout le monde est furieux. Certains ministres menacent de ne plus remettre les pieds à Syrte. « Les Libyens sont peut-être en train de regagner les faveurs de l’Amérique et de l’Europe, commente un délégué ouest-africain, mais, s’ils continuent à nous traiter comme des enfants, ils finiront par perdre celles de l’Afrique. Cette Afrique qui les a tant soutenus quand ils étaient des proscrits. »
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